Agir face à la myopie évolutive : prévenir et gérer les complications
Symposium Hoya

À l’heure où la myopie atteint des proportions épidémiques, affectant déjà plus d’un milliard d’individus dans le monde, la prévention et le ralentissement de sa progression deviennent des priorités de santé publique. Le symposium Hoya a permis d’aborder différents volets de la myopie, de la physiopathologie de l’emmétropisation jusqu’aux complications sévères de la myopie forte, en passant par les stratégies de freination optique en contexte européen. Cette rencontre scientifique a notamment mis en lumière les résultats d’une étude multicentrique française prometteuse sur les verres freinateurs DIMS, ainsi que les enjeux réglementaires pour leur intégration dans la pratique clinique pédiatrique.
Emmétropisation et facteurs environnementaux
D’après la communication du Pr Hakan Kaymak (Düsseldorf)
L’emmétropisation est le processus physiologique par lequel l’œil en croissance ajuste sa longueur axiale afin d’atteindre une réfraction neutre. Ce mécanisme, essentiel au développement visuel normal, est modulé par l’expérience visuelle et s’appuie sur une boucle de rétrocontrôle sensoriel entre la rétine et la sclère. Lorsqu’il est perturbé, notamment par des facteurs environnementaux, il peut déboucher sur le développement d’une myopie précoce.
Les études épidémiologiques les plus récentes identifient plusieurs facteurs de risque majeurs associés à l’augmentation de la prévalence de la myopie : un temps excessif passé en intérieur, une scolarisation précoce et intensive, une exposition prolongée aux écrans, un manque d’exposition à la lumière naturelle, une hérédité myopique ainsi qu’un dépistage ophtalmologique tardif. Ces facteurs convergent pour altérer les mécanismes d’adaptation visuelle et favoriser un allongement axial pathologique.
Le Pr Kaymak précise que l’évolution de la réfraction peut être influencée par les modifications du cristallin, entraînant parfois une sous-estimation de la croissance axiale réelle de l’œil. Ainsi la vitesse d’allongement axial constitue un biomarqueur précoce pertinent, avec une progression lente – inférieure à 0,17 mm/an – observée chez 41% des enfants, une progression modérée – entre 0,17 et 0,34 mm/an – chez 37%, et une progression rapide – supérieure à 0,34 mm/an – chez 22% sur l’exemple d’un enfant considéré comme lent répondeur car inférieur à -0,50 D/an. Il est donc essentiel de privilégier la mesure biométrique objective plutôt que la seule réfraction pour évaluer précocement le risque évolutif de myopie (figure 1).
Par ailleurs, une définition plus précise de l’œil emmétrope reste débattue, notamment en fonction des variations ethniques. Les enfants non asiatiques présentent souvent une hypermétropie modérée durant la croissance, alors que les asiatiques montrent une emmétropisation plus rapide, avec une longueur axiale accrue pour un même âge. Ces disparités soulignent l’importance d’études localisées et contextualisées pour adapter les recommandations de dépistage et les stratégies de prévention.
Complications de la myopie forte et pathologique
D’après la communication du Pr Alejandra Daruich (Paris)
La myopie forte représente un facteur de risque majeur de complications oculaires. Ces complications sont d’autant plus préoccupantes qu’elles peuvent survenir chez de jeunes patients et engendrer des altérations irréversibles de la fonction visuelle. Les plus fréquentes incluent les staphylomes postérieurs, les maculopathies myopiques, les décollements de la rétine, les glaucomes à angle ouvert et les cataractes précoces.
Le staphylome postérieur, défini comme une protrusion localisée de la paroi postérieure du globe oculaire, est associé à une augmentation de la longueur axiale. Sa classification repose sur l’imagerie multimodale, qui permet d’en objectiver la forme, l’étendue et les conséquences mécaniques sur la rétine.
La maculopathie myopique est une autre pathologie redoutée, qui comprend 4 grades d’atrophie selon la classification internationale, allant de l’atrophie diffuse à l’atrophie en plaques. L’apparition de néovaisseaux choroïdiens, souvent bilatéraux et récidivants, représente une complication majeure, traitée actuellement par des injections intravitréennes d’anti-VEGF selon un schéma pro re nata. Les maculopathies tractionnelles – notamment rétinoschisis, trous maculaires et décollements rétiniens – résultent de tractions postérieures et antérieures et peuvent nécessiter un traitement chirurgical complexe. La classification ATN, proposée par Ruiz-Medrano en 2019, intègre les 3 composantes – atrophique, tractionnelle et néovasculaire – pour une meilleure stratification du risque (figure 2).
D’autres complications importantes incluent les modifications de la tête du nerf optique – dysversion, mégalopapille, décollement péripapillaire –, le glaucome à angle ouvert avec atteinte structurelle parfois sans élévation de la pression intraoculaire, et la cataracte prématurée favorisée par le stress oxydatif, la liquéfaction du vitré et l’inflammation chronique.
Étude OPHTAMYOPE : efficacité des verres DIMS en population française
D’après la communication du Pr Dominique Bremond-Gignac (Paris)
L’étude OPHTAMYOPE est une étude observationnelle rétrospective multicentrique française, portée par un groupe de recherche interrégional, visant à évaluer l’efficacité et la tolérance des verres DIMS (Defocus Incorporated Multiple Segments – technologie Hoya) dans une population pédiatrique atteinte d’une myopie évolutive. Si les données issues de populations asiatiques sont bien établies, peu d’études ont été menées dans des cohortes européennes, alors même que la prévalence de la myopie est en forte croissance dans ces régions.
L’analyse intermédiaire portant sur 49 enfants âgés de 4 à 16 ans présentant une myopie évolutive – définie par une progression d’au moins -0,5 D/an ou +0,2 mm/an –, a été réalisée dans 12 centres répartis sur le territoire national. Chaque enfant a bénéficié tous les 6 mois pendant 2 ans d’un suivi rigoureux avec mesure de l’acuité visuelle, de la réfraction sous cycloplégique, du fond d’œil et de la longueur axiale.
Après 24 mois de port de verres DIMS, l’équivalent sphérique moyen était de -2,85 D (±1,73). La variation moyenne de la réfraction sur 2 ans était de -0,32 D (±0,44) pour l’œil droit, tandis que la croissance axiale était limitée à 0,23 mm (±0,20). Ces résultats sont très inférieurs aux taux de progression attendus dans une population pédiatrique myope non traitée (environ -1 D et +0,4 mm en 2 ans), suggérant une efficacité réelle du dispositif dans la réduction de la progression myopique (figure 3).
Ces résultats, bien qu’intermédiaires, sont très prometteurs et confirment la pertinence d’un contrôle optique actif via la défocalisation périphérique. L’étude devrait se poursuivre avec l’inclusion de nouveaux patients et un allongement du suivi, afin de consolider les données et de proposer des recommandations précises adaptées à la population européenne.
Perspectives et enjeux réglementaires
Malgré les résultats cliniques encourageants, l’accès aux verres freinateurs DIMS reste encore limité par des considérations financières, en particulier dans le contexte français où ces dispositifs sont remboursés à hauteur de 0,05 centimes avec une prise en charge des complémentaires santé. Une enquête nationale menée auprès des ophtalmologistes a montré que 90% d’entre eux identifiaient le coût comme le principal frein à la prescription, malgré leur intérêt pour ces innovations.
Pour pallier cette barrière, le laboratoire Hoya a engagé une démarche structurée auprès des autorités de santé – HAS, CEPS – afin de créer une catégorie tarifaire dédiée aux dispositifs médicaux de freination de la myopie. Cette initiative, encore inédite en France, vise à inscrire les verres DIMS dans un cadre de remboursement, permettant ainsi une accessibilité plus large aux familles et une intégration progressive dans les parcours de soin. Elle s’inscrit dans une volonté de structurer une offre cohérente de prévention visuelle pédiatrique.
La myopie évolutive est une pathologie chronique dont les complications à long terme peuvent être sévères. À l’ère de l’explosion de la prévalence mondiale de la myopie, la prévention et la freination dès l’enfance apparaissent comme des priorités absolues. Le symposium Hoya a rappelé l’importance de mieux comprendre les mécanismes physiopathologiques de l’emmétropisation, de détecter précocement les anomalies de croissance axiale et de mettre à disposition des stratégies de contrôle efficaces, comme les verres DIMS. En combinant innovation technologique, approche personnalisée et initiatives réglementaires, il devient possible d’offrir aux jeunes patients une prise en charge préventive ambitieuse et équitable.
À travers l’étude OPHTAMYOPE, la France s’inscrit pleinement dans cette dynamique, avec des résultats très encourageants qui devraient ouvrir la voie à une intégration clinique renforcée des dispositifs de freination optique dans les années à venir.
Thomas Foulonneau, Hôpital Cochin, Paris