Atrophie maculaire : et si ce n’était pas une DMLA ?
La dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA) sèche est de loin la première cause d’atrophie maculaire à l’origine d’une baisse d’acuité visuelle sévère uni- ou bilatérale en cas d’atteinte fovéale. Cependant, il ne faut pas méconnaître ses principaux diagnostics différentiels, plus rares, pour lesquels il existe une prise en charge spécifique. Chez un patient présentant une atrophie maculaire, il convient de mener un interrogatoire policier afin d’orienter correctement le diagnostic étiologique : histoire familiale, âge de survenue des symptômes, réfraction, troubles visuels associés (anomalies du champ visuel, héméralopie, photophobie), prise de rétinotoxiques (antipaludéens de synthèse, tamoxifène, etc.).
Cas clinique 1
M. B., né en 1948, aux antécédents de DMLA atrophique, consulte pour une baisse d’acuité visuelle (BAV) progressive bilatérale sans métamorphopsie, associée à un trouble d’adaptation à l’obscurité.
Figure 1A. Le fond d’œil révèle une atrophie maculaire polycylique d’axe vertical, associée à une dégénérescence pavimenteuse circonférentielle périphérique. L’imagerie en autofluorescence en lumière bleue (BAF) permet de mieux visualiser les plages d’atrophie maculaire multiples confluentes hypo-autofluorescentes associées à des pseudo-drusen réticulés le long des arcades temporales. Figure 1B. En OCT Spectral Domain (OCT-SD), il existe une irrégularité, voire une disparition des couches hyperréflectives externes des photorécepteurs et de la couche nucléaire externe de la région maculaire, avec une préservation rétrofovéale expliquant l’acuité visuelle relativement bien conservée. L’OCT confirme également la présence de pseudo-drusen réticulés hyperréflectifs en dôme en avant de la couche de l’épithélium pigmentaire (flèche).
Son acuité visuelle est mesurée à 0,63 P3 avec (-0,75) 80° addition +2,75 à droite et 0,8 P2 avec -0,75 (-0,75) 160° addition +2,75 à gauche. L’examen du segment antérieur montre un cristallin clair aux 2 yeux.
Le champ visuel cinétique de Goldmann retrouve un scotome central absolu bilatéral dans les 20° centraux, avec préservation des isoptères périphériques. L’électrorétinogramme (ERG) global révèle une dysfonction mixte modérée de l’électrogénèse rétinienne globale.
Ce tableau clinique est très évocateur du diagnostic d’EMAP (Extensive macular atrophy with pseudodrusen-like appearance), entité décrite en 2009 par l’équipe du Pr Hamel à Montpellier [1]. La distinction avec le diagnostic de DMLA atrophique a principalement un intérêt pronostic car l’EMAP est caractérisée par une évolution atrophique rapide, avec une atteinte fovéale précoce à l’origine d’une malvoyance sévère après 5 à 10 ans d’évolution.
Cas clinique 2
M. A., âgé de 78 ans, est adressé pour suspicion de DMLA atrophique. Figure 2A. Au fond d’œil, il existe une vaste plage d’atrophie choriorétinienne bien limitée, cernée par de discrets dépôts jaunâtres et épargnant la fovéa de l’œil gauche. L’imagerie BAF révèle une hypo-autofluorescence à bords nets polycycliques, laissant apparaître le trajet des vaisseaux choroïdiens sous-jacents. En périphérie de l’atrophie, il existe de multiples dépôts hyper-autofluorescents réticulés associés à des taches hypo-autofluorescentes. Figure 2B. L’OCT-SD montre des altérations plus marquées à droite avec une interruption abrupte des couches hyperréflectives externes et de la couche nucléaire externe de la région maculaire laissant place à des tubulations externes et un amincissement rétinien marqué. À gauche, l’aspect est similaire avec une épargne de la région fovéolaire et temporofovéale bien visible entre les 2 plages atrophiques en BAF. Il présente une BAV centrale progressive depuis une dizaine d’années, sans héméralopie ni photophobie. L’interrogatoire retrouve pour antécédents médicaux un diabète type 2 insulinorequérant, un accident vasculaire cérébral survenu 3 ans plus tôt et une hypoacousie non datée.
Son acuité visuelle est évaluée à 0,05 P28 avec +2,25 (-1,75) 94° addition +3,00 à droite et 0,9 P3 avec +2,75 (-1,75) 85° addition +3,00 à gauche. L’examen du segment antérieur montre une cataracte corticonucléaire modérée n’expliquant pas la BAV de l’œil droit.
Le champ visuel cinétique de Goldmann retrouve un scotome central absolu dans les 30° centraux correspondant aux plages d’atrophie maculaire, tandis que les isoptères périphériques sont conservés. L’association d’une dystrophie maculaire réticulée, d’un diabète et d’une surdité évoque le diagnostic de MIDD (Maternally inherited diabetes and deafness), confirmé génétiquement par l’identification de la mutation hétérozygote 3243A>G dans l’ADN mitochondrial chez ce patient [2,3]. Le diagnostic du syndrome MIDD présente un intérêt pronostic en permettant le dépistage, la prévention et le traitement des comorbidités associées : myopathie et cardiomyopathie, atteinte rénale, manifestations neurologiques et psychiatriques. Il présente également un intérêt pour le conseil génétique. Cette pathologie étant exclusivement transmise par la femme, il n’existe pas de risque de transmission à la descendance chez ce patient. Un tableau rétinien similaire peut être rencontré en cas de toxicité aux antirétroviraux (didanosine/Videx, ritonavir/ Norvir) chez les patients infectés par le VIH.
Cas clinique 3
M. T., âgé de 59 ans, est adressé pour la découverte fortuite d’une atrophie maculaire de l’œil droit sans baisse visuelle ressentie. Figure 3A. L’examen du fond d’œil confirme l’existence de remaniements atrophiques maculaires plus marqués sur l’œil droit. L’imagerie BAF révèle un aspect granuleux de la région maculaire avec une alternance de grains hyper- et hypo-autofluorescents, épargnant la région inter-papillomaculaire et péripapillaire. Il existe à gauche une plage hypo-autofluorescente à l’emporte-pièce juxtafovéale correspondant à une plage d’atrophie constituée. Figure 3B. L’OCT-SD maculaire montre une disparition des couches hyperréflectives de l’ellipsoïde et de la zone d’interdigitation dans la région rétrofovéale, tandis que la membrane limitante externe est respectée. Il ne présente pas d’antécédents médicaux. L’histoire familiale retrouve un diagnostic de DMLA atrophique chez sa mère et sa sœur aînée. L’acuité visuelle est mesurée à 0,63 P5 avec +1,75 (-0,50) 80° addition +2,25 à droite et 1,0 P2 avec +2,25 (-0,75) 105° addition +2,25 à gauche.
La maculopathie est confirmée par le bilan électrophysiologique qui retrouve une altération des réponses centrales à l’ERG multifocal, tandis que la fonction rétinienne globale est normale à l’ERG grand champ.
Une atteinte maculaire précoce sans drusen dans un contexte d’histoire familiale d’atrophie maculaire doit faire remettre en cause le diagnostic de DMLA atrophique. Chez ce patient, une analyse génétique a permis d’identifier une mutation hétérozygote sur le gène PRPH2, confirmant le diagnostic d’atrophie aréolaire centrale. Les mutations du gène PRPH2 sont caractérisées par un mode de transmission autosomal dominant, avec une pénétrance variable et une grande variabilité phénotypique interindividuelle et intrafamiliale, allant de la dystrophie réticulée (pattern dystrophie), à la dystrophie pseudovitelliforme ou la dystrophie généralisée bâtonnets-cônes [4].
Le diagnostic de cette pathologie est nécessaire pour apporter un conseil génétique aux patients atteints, dont le risque de transmission à la descendance est de 50%.
Cas clinique 4
Mme S., âgée de 60 ans, consulte pour une BAV progressive bilatérale associée à une photophobie ancienne. Figure 4A. Le fond d’œil montre une plage d’atrophie maculaire arrondie d’aspect granité bilatérale et symétrique. Les vaisseaux sont de calibre normal. La papille est discrètement pâle sur son secteur temporal. L’imagerie BAF révèle une hypo-autofluorescence maculaire inhomogène cernée par un liseré hyper-autofluorescent. Figure 4B. En OCT-SD, il existe une interruption abrupte des bandes hyperréflectives externes et de la couche nucléaire externe périfovéale avec une discrète épargne fovéale de l’œil droit. Elle présente un diabète type 2 équilibré sous antidiabétiques oraux. L’histoire familiale retrouve une notion de malvoyance non explorée chez le père de la patiente et une tante paternelle. L’acuité visuelle est évaluée à 0,4 P5 avec +0,75 (-0,75) 90° addition +2,50 et 0,25 P8 avec +0,75 (-0,50) 125° addition +2,50.
Devant l’existence d’une photophobie, un bilan électrophysiologique a été réalisé. L’ERG global met en évidence une dysfonction isolée du système des cônes, tandis que la fonction des bâtonnets est préservée. L’ERG multifocal confirme l’atteinte centrale plus marquée de l’œil gauche.
Le diagnostic de dystrophie des cônes est classiquement porté chez l’enfant ou l’adulte jeune, mais il existe des phénotypes moins sévères de découverte plus tardive [5]. La photophobie est un symptôme constant qui doit faire réaliser un bilan électrophysiologique en l’absence d’autre cause évidente de photophobie à l’examen clinique.
Cas clinique 5
Mme R., âgée de 65 ans, sans antécédent personnel ni familial, consulte pour avis thérapeutique dans le cadre d’une DMLA atrophique diagnostiquée il y a 10 ans. Figure 5A. L’examen du fond d’œil retrouve une atrophie maculaire centrale bilatérale et symétrique associée à des dépôts jaunâtres pisciformes, qui apparaissent hyper-autofluorescents en lumière bleue et épargnent la région péripapillaire. Figure 5B. L’OCT maculaire montre une atteinte des couches externes strictement limitée à la région maculaire. L’acuité visuelle est mesurée à « compte les doigts » aux 2 yeux sans héméralopie ni photophobie.
L’ERG global étant conservé chez cette patiente, il s’agit d’une dystrophie maculaire de Stargardt de type 1, confirmée génétiquement par l’identification d’une mutation homozygote pathogène sur le gène ABCA4. Cette pathologie de transmission autosomale récessive est la plus fréquente des dystrophies maculaires, avec 2 pics d’incidence : chez l’enfant de 6 à 20 ans (fovéopathie) et chez l’adulte de 50 à 55 ans (périfovéopathie). L’épargne de l’autofluorescence péripapillaire est très évocatrice de la maladie de Stargardt sans être pathognomonique. Il s’agit de la seule dystrophie rétinienne pour laquelle la supplémentation par vitamine A est contre-indiquée.
Conclusion
Une atrophie maculaire diagnostiquée à un âge précoce, sans drusen au fond d’œil ni en OCT maculaire, doit faire remettre en cause le diagnostic de DMLA atrophique au profit de causes plus rares, génétiques ou toxiques. Cependant, au stade très évolué, il est parfois difficile d’établir un diagnostic rétrospectif. L’imagerie en autofluorescence, l’OCT maculaire et l’électrophysiologie sont des examens clés dans la démarche diagnostique.
Actuellement, sur le plan thérapeutique, les maculopathies héréditaires ou toxiques ne bénéficient pas de traitement curatif. Les patients reçoivent les mêmes recommandations hygiéno-diététiques que pour la DMLA atrophique : protection solaire, arrêt du tabac, régime alimentaire enrichi en lutéine et omega 3. En cas de rétinotoxicité, l’arrêt du toxique est exigé. Comme le montrent les précédents cas cliniques, l’identification d’une dystrophie rétinienne héréditaire a des conséquences pronostiques et implique un conseil génétique. À l’ère des nouvelles approches thérapeutiques de réhabilitation visuelle (thérapie génique, optogénétique, cellules souches, rétine artificielle), un phénotypage précis de l’atrophie maculaire est indispensable afin de ne pas méconnaître ces pathologies rares.
Références bibliographiques
[1] Hamel CP, Meunier I, Arndt C et al. Extensive macular atrophy with pseudodrusen-like appearance: a new clinical entity. Am J Ophthalmol. 2009;147(4):609-20.
[2] Massin P, Virally-Monod M, Vialettes B et al. Prevalence of macular pattern dystrophy in maternally inherited diabetes and deafness. GEDIAM Group. Ophthalmology. 1999;106(9):1821-7.
[3] Raja MS, Goldsmith C, Burton BJ. Outer retinal tubulations in maternally inherited diabetes and deafness (MIDD)-associated macular dystrophy. Graefes Arch Clin Exp Ophthalmol. 2013;251(9):2265-7.
[4] Wells J, Wroblewski J, Keen J et al. Mutations in the human retinal degeneration slow (RDS) gene can cause either retinitis pigmentosa or macular dystrophy. Nat Genet. 1993;3(3):213-8.
[5] Langwińska-Wośko E, Szulborski K, Broniek-Kowalik K. Late onset cone dystrophy. Doc Ophthalmol. 2010;120(3):215-8.