Comment choisir la première lentille pour adapter un patient presbyte

Nous avons à notre disposition un très grand nombre de lentilles de contact multifocales et ce panel s’enrichit chaque année de nouveaux matériaux, de nouvelles géométries et de gammes de correction de plus en plus étendues. Certains auraient tendance à penser que toutes ces lentilles se valent et sont interchangeables, la dernière sortie étant sûrement la meilleure ! À en juger par la liste des lentilles testées, choisies de manière aléatoire et malheureusement sans succès, notre rôle de contactologues est de faire une mise au point sur la prise en charge des patients presbytes.

Un choix multifactoriel

Le choix de la première lentille dépend de plusieurs facteurs : l’historique contactologique du patient ; sa surface oculaire, le film lacrymal et la dynamique des paupières ; le mode de port envisagé et l’environnement ; sa réfraction.

Historique
L’historique du patient est déterminant : le porteur de lentilles souples reste en souples, celui de rigides reste en rigides, sous réserve d’un centrage correct de ses lentilles sur la cornée, et le nouveau porteur sera orienté vers l’une ou l’autre solution, en fonction des 3 autres critères cités plus haut.

Surface oculaire
La surface oculaire et l’état du film lacrymal sont des points importants. L’âge de la presbytie est également celui où apparaissent des désordres hormonaux à l’origine de sécheresse oculaire. Les lentilles souples peuvent être mal supportées sur la durée et le recours à des lentilles rigides peut être une solution. La dynamique des paupières joue un rôle important sur l’étalement du film lacrymal et sur la mobilité et le centrage des lentilles rigides.

Mode de port
Pour un port occasionnel souhaité, les lentilles journalières sont fortement conseillées. En revanche, le choix est plus ouvert pour ceux qui désirent porter leurs lentilles régulièrement. Cependant, à l’évidence, un environnement poussiéreux contre-indique le port de lentilles en général, et de rigides en particulier, sauf sous la forme de lentilles de nuit (orthokératologie).

Réfraction
Ces 3 premiers facteurs sont des critères de sélection communs à tous les porteurs de lentilles de contact. Ce qui distingue clairement l’adaptation du presbyte, c’est le choix de la première lentille en fonction de la réfraction.
L’adaptation d’un presbyte en lentille multifocale repose sur 3 impératifs :
- une analyse soigneuse de la réfraction : la sphère, le cylindre, l’iso- ou l’anisométropie de la sphère ou du cylindre ; le contrôle de la vision binoculaire, surtout en cas d’anisométropie ou d’antécédents de strabisme ; la recherche d’hétérophories et d’insuffisance de convergence ;
- connaître la géométrie multifocale des lentilles : entièrement asphérique, sphéro-asphérique ou bifocale ; zone optique centrale customisée ; vision de loin (VL) ou de près (VP) centrale ;
- distinguer l’hypermétrope du myope, associés ou non à un astigmatisme dont la prise en charge n’est pas la même.

Quelle que soit l’amétropie à corriger, associée à la presbytie, 2 points sont communs et préalables avant toute tentative d’adaptation.
L’absence de vision binoculaire ou une dominance trop forte vont compliquer le choix des lentilles puisqu’un seul œil supporte la totalité de l’effort visuel. D’autre part, si les dominances ne sont pas clairement identifiées, les systèmes asymétriques sont fortement déconseillés.

Patient hypermétrope

C’est généralement le cas le plus simple. Il découvre un vrai problème en VP et, progressivement, également en VL. La majorité des lentilles multifocales sont à VP centrale, dont la zone optique centrale de près est inférieure à 2 mm. Cela a une correspondance avec la taille de la pupille, statiquement mesurée, et avec le phénomène du myosis accommodatif puissant chez la majorité des hypermétropes. Il est donc souhaitable, chez un hypermétrope, de choisir en priorité des lentilles à VP centrale.

Cas clinique
Une patiente équipée à l’âge de 54 ans avec : OD Biofinity MF +1,00 D add +1,50 ;  OG +1,75 N add +1,50.
Elle revient 6 mois plus tard, très gênée en VL et VP, avec une sensation de décalage entre les 2 yeux, voire une sensation de diplopie.
Réfraction du jour : OD (70°-0,25) +1,50 ; OG (110° -0,50) +1,50 add +2,25. OD en VL.
Le choix de 2 lentilles de géométries inversées ne paraît pas approprié. Le nouveau choix proposé est : ODG lentilles Ophtalmic Sweet Progressive ; ODG +1,50 add +2,25.
Le résultat est spectaculaire. Outre l’acuité obtenue de 10/10 P2, la patiente retrouve un équilibre binoculaire.
Ce qu’il faut retenir concernant l’hypermétrope à équiper en lentilles souples multifocales
- Déterminer l’hypermétropie maximale à corriger.
- Veiller à choisir l’addition la plus faible associée à la correction de l’hypermétropie.
- Choisir en priorité des lentilles à VP centrale.
Le seul cas où un hypermétrope sera équipé avec succès avec des lentilles à géométries inversées est celui des hypermétropes anisométropiques : ils sont « formatés » cérébralement et les résultats sont satisfaisants si la vision binoculaire est présente.

Patient myope

La situation est différente. Il est souvent déjà porteur de lentilles de contact souples ou rigides.
Les caractéristiques particulières que la presbytie induit sur le myope sont un parcours accommodatif plus court, avec un port prolongé qui s’éloigne au fur et à mesure que le patient passe d’une absence de correction à une correction lunettes, puis à une correction lentilles ou chirurgicale (figure 1).
C’est ainsi que ses besoins d’accommodation et de convergence augmentent, alors qu’il reste très attaché à sa VL, bien corrigée depuis longtemps, et qu’il n’est prêt à aucun compromis à ses dépens.
Il existe chez les myopes 2 profils distincts : le premier porte toujours sa correction, de loin comme de près. Il conserve une accommodation dynamique et tout type de correction est possible ; le second a pris l’habitude de retirer ses lunettes pour lire. Il devient hypo-accommodatif et hypo-convergent. Il faut souvent mettre en place une rééducation orthoptique avant toute adaptation, et plutôt s’orienter vers des corrections dites asymétriques.  
Par ailleurs, de nombreuses études ont montré une différence de taille du diamètre pupillaire selon l’amétropie et le degré de presbytie. C’est ainsi qu’un certain nombre de lentilles proposent des « zones optiques customisées », fonction de ces 2 critères. De l’ensemble de ces éléments, il est possible de proposer, pour les lentilles souples multifocales, des arbres décisionnels évolutifs, fonction du degré de presbytie (figure 2).

Cas clinique
Homme de 50 ans myope : OD -5,50 ; OG -6,25 ; OD dominant en VL.
Équipé depuis 2 ans en monovision avec des lentilles souples : OD Acuvue Oasys 8,40 -5,00 ; OG Acuvue Oasys 8,40 -5,00.
Cela ne lui convient plus, en particulier en VP. Un nouvel équipement lui est proposé : Acuvue Oasys for Presbyopia : OD -5,00 add +1,25 ; OG -5,50 add +1,75 ; 10/10 P2. L’Acuvue Oasys for Presbyopia est à VL centrale et très favorable aux myopes.
Ce qu’il faut retenir concernant le myope à équiper en lentilles souples multifocales
- Respecter sa VL en conservant, au moins sur l’œil dominant, une lentille à VL centrale.
- Ne pas hésiter à pratiquer des « bascules » ou des mini-monovisions assez favorables aux myopes.
Dans le cas d’un astigmatisme associé à la myopie, le raisonnement reste identique. 

Lorsque le patient est porteur ou doit être équipé de lentilles rigides, les problèmes qui se posent sont différents. Ce qui importe en priorité est le centrage des lentilles sur la cornée.
Si les lentilles sont bien centrées sur la cornée, il est alors très simple de conserver des lentilles multifocales concentriques, à VL centrale en majorité, et d’adapter le degré de presbytie approprié. En revanche, si les lentilles sont décentrées et le plus souvent en position haute, ce type de lentille est exclu. Deux choix sont alors envisageables :
- soit des lentilles segmentées, ballastées, bifocales ou progressives, à vision alternée, qui, grâce au poids du prisme ballast inclus, permettent de faire redescendre la lentille et de recentrer les zones optiques ;
- soit des lentilles hybrides, rigides au centre et souples en périphérie, qui vont automatiquement recentrer la zone optique centrale. Elles fonctionnent en vision simultanée et existent en VL et VP centrale.
L’arbre décisionnel proposé est représenté sur la figure 3.

Patient astigmate

Bon nombre de lentilles multifocales sont désormais proposées en version torique.  
Ce qu’il faut retenir concernant l’astigmate à équiper de lentilles multifocales toriques
- Avant toute chose, faire une réfraction cylindrique en recherchant la sphère la plus positive associée au cylindre.
- Pour des astigmatismes inférieurs à 1 D, le résultat visuel est souvent très satisfaisant malgré l’absence de correction cylindrique. Cela mérite d’être essayé.
- Un astigmatisme inverse non corrigé peut soulager l’« effort accommodatif » en VP.
- Un rappel : selon la règle DVO (distance verre-œil), l’astigmatisme sera sous-évalué chez le myope et entièrement corrigé chez l’hypermétrope.

Conclusion

Le choix de la première lentille, pour la correction de la presbytie, n’est pas aléatoire mais repose sur des points précis. Que ce soit pour les lentilles rigides ou les lentilles souples MF des arbres décisionnels, fonction de l’amétropie et du degré de presbytie, sont proposés.
Bien sûr, il existe et il existera toujours des exceptions. Mais elles sont très minoritaires. Ces éléments de réflexion proposés dans ce chapitre sont le fruit de nombreuses années de pratique et de succès.

Pour en savoir plus
Roth A, Gomez A, Péchereau A. Atlas en ophtalmologie. La réfraction de l’œil, du diagnostic à l’équipement optique. Paris : Elsevier Masson ; 2007.
Peyre C. Les lentilles souples multifocales : les solutions qui s’offrent à nous. Réalités Ophtalmologiques. 2020 oct.
Peyre C. Les astigmates presbytes en lentilles de contact. Reflexions Ophtalmologiques. 2020;239(25).

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