Décollement de rétine rhegmatogène : vitrectomie ou indentation ?

La vitrectomie transconjonctivale est de plus en plus utilisée comme technique de première intention dans la prise en charge des décollements de rétine (DR). Il reste toutefois des indications pour lesquelles il est préférable de recourir à la chirurgie par voie externe (cryoapplication et indentation épisclérale). Le choix du traitement dépend du terrain et surtout des données de l’examen clinique préopératoire. Nous aborderons dans ce chapitre les principaux éléments à considérer dans la stratégie thérapeutique.
Quelle que soit la technique utilisée, le principe de la prise en charge du DR reste inchangé et repose sur l’obturation de la ou des déhiscences pour interrompre le passage de liquide dans l’espace sous-rétinien et la création d’une adhérence choriorétinienne définitive par rétinopexie. Initialement réservée aux cas les plus sévères, la vitrectomie s’est progressivement imposée comme le traitement de référence du DR. Une étude récente menée chez nos voisins allemands a ainsi rapporté que la proportion de chirurgie par voie endoculaire était passée de moins de 40% en 2005 à plus de 95% en 2019 [1]. L’avènement des systèmes transconjonctivaux, l’amélioration des machines, de l’instrumentation et des moyens de visualisation ont contribué à cet essor en simplifiant le geste opératoire et en diminuant le risque de complications iatrogènes. La vitrectomie présente plusieurs avantages par rapport à la chirurgie par voie externe, à la fois techniques (suppression des tractions dynamiques et statiques, meilleure exploration de la périphérie rétinienne grâce à l’utilisation de systèmes à vision panoramique) et pour le patient (suture non systématique, suites opératoires plus confortables). Elle permet également d’éviter les complications liées à l’indentation : troubles oculomoteurs, modifications de réfraction, extrusion de matériel… Néanmoins, elle pose le problème de l’apparition d’une cataracte, en particulier chez le sujet jeune non presbyte. De plus, il persiste des indications pour lesquelles la cryo-indentation offre des résultats anatomiques et fonctionnels équivalents, voire supérieurs, à ceux de la chirurgie endoculaire.
Stratégie thérapeutique
Statut cristallinien
Il s’agit du premier élément à considérer dans l’arbre de décision (figure 1). Chez le patient pseudophake, l’examen de la périphérie rétinienne est souvent difficile et incomplet du fait d’opacités capsulaires et d’aberrations optiques liées aux bords de l’implant. La vitrectomie, grâce à l’utilisation de systèmes « grand champ », permet le plus souvent de retrouver et de traiter toutes les déchirures causales, notamment les petites déhiscences antérieures, intrabasales, qui sont assez typiques du DR du pseudophake et qui peuvent passer inaperçues lors de l’examen préopératoire.
L’étude de référence SPR (Scleral buckling versus primary vitrectomy in rhegmatogenous retinal detachment) a ainsi montré que la vitrectomie donnait de meilleurs résultats anatomiques chez les patients pseudophakes présentant un DR de sévérité moyenne (déchirure ne pouvant être traitée par une éponge radiaire unique de 7,5 x 2,75 mm, absence de PVR) [2]. En revanche, les résultats fonctionnels étaient en faveur de la chirurgie par voie externe chez le patient phake, principalement en raison du développement d’une cataracte dans le groupe traité par vitrectomie [2]. Chez ces patients, l’évaluation clinique préopératoire doit être minutieuse et attentive puisque l’indication de cryo-indentation dépendra du type de DR et de la possibilité ou non d’obturer efficacement toutes les déhiscences.
Statut vitréen
On distingue 2 types de DR en fonction de l’état du vitré :
- les DR rétinogènes liés à des déhiscences primitives de la rétine sans traction vitréenne associée, c’est-à-dire sans décollement postérieur du vitré (trou rond atrophique, dialyse à l’ora) qui représentent environ 15% des DR. Les DR sur trous atrophiques touchent classiquement le sujet jeune myope et ont la particularité d’être à progression lente (figure 2). Les dialyses à l’ora, quant à elles, peuvent être spontanées, de siège temporal inférieur ou, plus fréquemment, posttraumatiques et alors de localisation temporale inférieure ou nasale supérieure (figure 3). Ces DR sont souvent de bon pronostic car ils ne se compliquent jamais d’une prolifération vitréo-rétinienne (PVR) [3,4] ;
- les DR vitréogènes liés à une déchirure induite lors du décollement postérieur du vitré qui représentent la majorité des DR (environ 85%) [5].
Chez le sujet phake présentant un DR rétinogène, il est inutile, voire dangereux (vitré adhérent à la rétine), de proposer une vitrectomie en première intention. La cryo-indentation donne d’excellents résultats dans cette indication, avec un taux de réapplication supérieur à 95% à la première intervention [6]. Lorsque le DR est provoqué par un décollement postérieur du vitré, la stratégie sera fonction des caractéristiques de la ou des déhiscences causales.
Caractéristiques de la ou des déhiscences
En présence d’un DR vitréogène, l’indication de la voie externe dépendra de la possibilité ou non de traiter efficacement la ou les déchirures causales avec l’indentation (obturation des déhiscences, relâchement des tractions vitréennes associées). Il faudra donc considérer le nombre de déhiscences, leur taille et leur siège par rapport à l’équateur. En pratique, on privilégiera la chirurgie endoculaire en présence de :
- déchirures multiples et/ou étagées ;
- déchirures de grande taille (supérieures à 2 diamètres papillaires) ;
- déchirures en arrière de l’équateur (figure 4).
En revanche, les DR vitréogènes localisés, alimentés par une déchirure périphérique unique et de petite taille, sans traction vitréenne majeure représentent une excellente indication de cryo-indentation (figure 5). Notre équipe avait ainsi retrouvé, dans une série rétrospective portant sur 100 yeux, un taux de succès supérieur à 90 % chez ces patients, confirmant l’intérêt toujours actuel de la chirurgie par voie externe dans les DR liés à un décollement postérieur du vitré [6].
Autres paramètres
Certaines situations imposeront la réalisation d’une vitrectomie en première intention :
- existence d’un trouble des milieux (hémorragie du vitré, opacités cristalliniennes) gênant la visualisation de la périphérie rétinienne et donc l’identification et le traitement de toutes les déhiscences causales ;
- existence de facteurs de gravité (PVR de stade B ou C, trou maculaire) nécessitant un geste complémentaire endoculaire pour traiter efficacement le DR : pelage de membranes, ablation de la membrane limitante interne, suppression des tractions autour de la déchirure… (figure 6).
Enfin, certains éléments découverts en peropératoire pourront nécessiter le passage d’une chirurgie initialement prévue par voie externe à une chirurgie endoculaire : importante scléromalacie en regard de la déchirure exposant au risque de perforation sclérale, adhérence musculosclérale faisant suite à une chirurgie de strabisme rendant difficile, voire impossible, la mise en place ou le passage du matériel d’indentation sous un muscle.
Conclusion
Malgré l’essor de la vitrectomie, la chirurgie par voie externe garde une place dans la prise en charge des DR non compliqués chez le sujet phake. Elle reste le traitement de choix des DR rétinogènes, sur trous ronds atrophiques ou dialyse à l’ora. Elle pourra également être envisagée en première intention dans les DR vitréogènes liés à une ou à des déchirures de taille modérée, groupées dans le même quadrant et situées en avant de l’équateur.
Références bibliographiques
[1] Radeck V, Helbig H, Barth T et al. [Retinal detachment surgery: trends over 15 years]. Ophthalmologe. 2022;119(Suppl 1):64-70.
[2] Heimann H, Bartz-Schmidt KU, Bornfeld N et al. Scleral buckling versus primary vitrectomy in rhegmatogenous retinal detachment: a prospective randomized multicenter clinical study. Ophthalmology. 2007;114(12):2142-54.
[3] Freton A, Gastaud P. Dialyse à l’ora. In: Caputo G. Décollements de rétine. Rapport de La Société française d’ophtalmologie (SFO). Rapport français de la SFO. Masson; 2011:320-3.
[4] Zech JC, Guez-Daudin A. Décollements de rétine sur trous atrophiques. In: Caputo G. Décollements de rétine. Rapport de la Société française d’ophtalmologie (SFO). Rapport français de la SFO. Masson; 2011: 316-9.
[5] Le Rouic JF. Décollements de rétine par déchirures à clapet. In: Caputo G. Décollements de rétine. Rapport de la Société française d’ophtalmologie (SFO). Rapport français de la SFO. Masson; 2011: 299-310.
[6] Conart JB, Hubert I, Casillas M, Berrod JP. [Results of scleral buckling for rhegmatogenous retinal detachment in phakic eyes]. J Fr Ophtalmol. 2013;36(3):255-60.