Diagnostic et traitement des complications rétiniennes de la myopie pathologique
La myopie pathologique est définie comme une élongation excessive du globe (supérieure à 26,5 mm de longueur axiale), associée à des anomalies structurelles [1]. Ces anomalies structurelles sont principalement les déformations sclérales (staphylome myopique et macula bombée) et la maculopathie myopique. L’examen d’un myope fort ne se limitera pas à la macula et évaluera également la rétine périphérique, le nerf optique et l’opacité cristallinienne. Une éducation du patient à l’autosurveillance sera essentielle pour le dépistage précoce des complications maculaires.
Staphylomes myopiques et leurs complications
Initialement décrit et classifié par Curtin en 1977, le staphylome myopique se caractérise par une protrusion postérieure du globe oculaire, dont le rayon de courbure est moindre que le reste du globe. L’identification et la caractérisation des staphylomes ont été améliorées par l’IRM 3D et l’imagerie en rétinographie et autofluorescence ultra grand champ, et plus récemment par l’OCT ultra grand champ [2]. Les staphylomes présentent au niveau des zones de changement de courbure un amincissement choroïdien, une protrusion sclérale et des anomalies pigmentaires (figure 1). Les staphylomes sont présents chez la moitié des myopes forts, et plus fréquemment dans les yeux de longueur axiale excédant 30 mm, et ils sont le plus souvent bilatéraux.
Les staphylomes myopiques se classifient aujourd’hui en staphylome maculaire large ou étroit, staphylome péripapillaire, staphylome nasal et staphylome inférieur, et les autres, souvent associés ou multiples. Toutes les altérations de la myopie sont exacerbées dans le staphylome et chaque type prédispose à altération, telles la maculopathie tractionnelle dans les staphylomes maculaires ou la dysversion papillaire dans les staphylomes inférieurs.
Dysversion papillaire
La dysversion papillaire est fréquente chez le myope moyen, et le syndrome de dysversion papillaire se retrouve également chez le myope fort dans les cas d’un staphylome inférieur. Les complications maculaires sont alors présentes dans 78% des cas. Il existe des plis choroïdiens radiaires en lien avec une élongation différentielle entre la zone staphylomateuse et la zone non staphylomateuse. Les anomalies pigmentaires représentent un point de rupture au niveau du changement de courbure. Le décollement séreux rétinien est, lui, expliqué par un « entonnoir fovéolaire » de la vascularisation choroïdienne avec une turbulence des flux choroïdiens et ne doit pas être traité comme une exsudation néovasculaire [3]. On peut néanmoins retrouver des dépôts et des néovaisseaux ainsi que des polypes qui, eux, peuvent justifier un traitement par injection d’anti-VEGF (figure 2).
Macula bombée
La macula bombée est une anomalie sclérale définie comme une zone de moindre élongation au sein d’une zone staphylomateuse plus ou moins large. En effet, les yeux avec une macula bombée poursuivent leur élongation dans le temps, mais de manière différentielle entre le sommet de la macula bombée et la zone autour du dôme maculaire [4]. La physiopathologie de la macula bombée est encore mal comprise mais elle impliquerait la membrane de Bruch et une réponse adaptative sclérale différentielle.
L’histoire naturelle est la survenue possible d’un décollement séreux rétinien non exsudatif (figure 3) qui ne répond pas aux traitements par anti-VEGF, à la photo thérapie dynamique ni aux anti-minéralocorticoïdes, puis le développement progressif d’une atrophie de pleine épaisseur. S’il convient de bien dépister la macula bombée par des OCT B-scan perpendiculaires ou radiaires, le traitement reste aujourd’hui limité.
Maculopathie myopique
La maculopathie myopique a 3 composantes : atrophique, tractionnelle et néovasculaire.
La maculopathie myopique atrophique est la composante principale et inéluctable de la myopie forte et concerne 66% des myopes forts [5]. Elle relève d’un processus évolutif. Elle débute par un amincissement choroïdien progressif suivi par une atrophie d’abord diffuse péripapillaire et maculaire, puis des plages d’atrophie en patch. L’atteinte maculaire, ou « atrophie maculaire », est une atrophie de pleine épaisseur à l’origine d’une baisse d’acuité visuelle (BAV) centrale progressive. La surveillance de l’atrophie repose sur la rétinophotographie couleur, l’autofluorescence et l’OCT B-scan et EDI. Au stade final, l’atrophie se manifestera par une BAV de près progressive par perte du point de fixation, puis par une BAV de loin. L’OCT permettra d’observer la progression de l’atrophie en rétrofovéolaire (figure 4). À ce jour, il n’existe pas de traitement pour la composante atrophique de la myopie, pourtant responsable d’une baisse de vision progressive et irréversible.
La seconde composante est la composante néovasculaire qui survient à tout stade de la maculopathie myopique : tôt dans l’évolution, compliquant une rupture de la membrane de Bruch, survenant brutalement ou bien tardivement en bordure d’une plage atrophique. Les néovaisseaux sont la cause la plus fréquente d’une BAV brutale chez le myope fort et concernent 4 à 11% des myopes forts. La détection et la surveillance des néovaisseaux choroïdiens myopiques consistent tout d’abord en une éducation du patient sur la perception d’une déformation ou d’une baisse visuelle, puis il convient d’effectuer une surveillance à l’aide d’une grille d’Amsler. La gêne visuelle est souvent perçue précocement chez le myope fort mais elle peut parfois passer inaperçue chez le patient amblyope ou avec une forte différence d’acuité visuelle. Le fond d’œil doit rechercher une hémorragie, qui n’est cependant pas systématique. Dans tous les cas, l’analyse attentive des coupes d’OCT haute définition balayant toute la zone maculaire est nécessaire, à la recherche d’un gris hyperréflectif en avant de l’épithélium pigmentaire (figure 5). Si l’angiographie à la fluorescéine est encore actuellement le gold standard, l’utilisation de l’OCT-A associé à l’OCT B-scan offre une sensibilité de 97% pour la détection des néovaisseaux choroïdiens myopiques [6]. Après un traitement par anti-VEGF, la surveillance d’une récidive précoce va être assurée par l’autocontrôle et des visites mensuelles les 6 premiers mois, avec un cube maculaire en OCT B-scan haute définition et en coupes serrées, et une OCT-A en cas de doute.
Les pathologies chirurgicales associées à la myopie forte représentent la troisième composante. Les yeux myopes forts peuvent présenter membranes épirétiniennes, trous lamellaires et trous maculaires dont l’indication chirurgicale est similaire à celle de l’emmétrope. Une BAV inférieure à 5/10e accompagnée d’une BAV de près doit faire poser l’indication chirurgicale en présence d’une membrane épirétinienne. Les trous maculaires du myope fort doivent être opérés sans attendre une augmentation de leur taille et sans délai, afin d’optimiser les chances de fermeture et de récupération visuelle. La chirurgie est délicate, avec une visibilité d’autant plus médiocre que la longueur axiale est élevée et qu’il existe des plages d’atrophie. Le taux de fermeture des trous maculaires du myope est de 80% dans le cas d’une chirurgie avec pelage complet de la limitante interne, mais passe à 95% en utilisant les techniques de volets inversés de membrane limitante interne.
Le fovéoschisis du myope fort concerne 30% des myopes forts. L’OCT identifie un épaississement rétinien avec un aspect de « travées » verticales correspondant à un étirement mécanique des cellules de Müller de la rétine sous l’effet d’une traction tangentielle et antéropostérieure. Il se forme au sein de staphylomes maculaires (figure 6). Certains fovéoschisis myopiques peuvent s’améliorer spontanément, le plus souvent à la suite de modifications des adhérences vitréennes. La chirurgie du fovéoschisis myopique, longtemps redoutée en raison de son risque de trou maculaire postopératoire, doit être aujourd’hui être proposée dès qu’une BAV inférieure à 5/10 et de près est ressentie, accompagnée d’une progression anatomique, sans attendre la survenue d’un décollement fovéolaire qui augmente le risque de trou maculaire post opératoire [7]. Il est néanmoins raisonnable d’effectuer 2 visites à 3 mois d’intervalle afin de documenter une évolutivité et de s’assurer de l’absence d’atrophie évoluée ou de néovaisseau myopique associé avant de proposer une chirurgie.
Conclusion
La myopie pathologique induit de nombreuses altérations morphologiques rétiniennes, choroïdiennes et sclérales. Avec l’aide de l’imagerie multimodale, il conviendra de rechercher ces complications, non exclusives l’une de l’autre, afin de les traiter précocement quand cela est possible. Le degré d’atrophie sera le déterminant final du pronostic visuel.
Références bibliographiques
[1] Ohno-Matsui K, Wu PC, Yamashiro K et al. IMI Pathologic Myopia. Invest Ophthalmol Vis Sci. 2021;62(5):5.
[2] Liu L, Fang Y, Igarashi-Yokoi T et al. Clinical and morphologic features of posterior staphyloma edges by ultra-widefield imaging in pathologic myopia. Retina. 2021;41(11):2278-87.
[3] Cohen SY, Vignal-Clermont C, Trinh L, Ohno-Matsui K. Tilted disc syndrome (TDS): New hypotheses for posterior segment complications and their implications in other retinal diseases. Prog Retin Eye Res. 2022;88:101020.
[4] Dormegny L, Liu X, Philippakis E et al. Evolution of dome-shaped macula is due to differential elongation of the eye predominant in the peri-dome region. Am J Ophthalmol. 2021;224:18-29.
[5] Chen Q, He J, Hu G et al. Morphological characteristics and risk factors of myopic maculopathy in an older high myopia population-based on the New Classification System (ATN). Am J Ophthalmol. 2019;208:356-66.
[6] Bagchi A, Schwartz R, Hykin P, Sivaprasad S. Diagnostic algorithm utilising multimodal imaging including optical coherence tomography angiography for the detection of myopic choroidal neovascularisation. Eye (Lond). 2019;33(7):1111-8.
[7] Huang Y, Huang W, Ng DS, Duan A. Risk factors for development of macular hole retinal detachment after pars plana vitrectomy for pathologic myopic foveoschisis. Retina. 2017;37(6):1049-54.