Échos orthoptistes

Comment freiner la myopie de l’enfant en 2022 ?
D’après l’intervention du Pr Dominique Brémond-Gignac

La myopie forte (réfraction supérieure à 6 D et longueur axiale supérieure à 26 mm) ne constitue pas seulement une pathologie réfractive. Ses complications peuvent être multiples (maculopathie, décollement de rétine, glaucome…) et entraîner la cécité. L’enjeu est de freiner la myopie pour diminuer les risques liés à la myopie forte et pour y parvenir, 2 actions conjointes doivent être menées : la prévention et la freination.

Il est donc recommandé d’appliquer des mesures environnementales de type activité en extérieur, exposition à la lumière du jour, diminution du travail sur écran et lecture à plus de 30 cm. Il est aussi rappelé que la sous-correction myopique ne diminue pas la progression et qu’une réfraction sous cycloplégie doit être à la base de toute prise en charge réfractive chez l’enfant. C’est sur la physiopathologie de l’œil myope que se sont établis les moyens actuels de freination, l’augmentation de la longueur axiale étant due à une défocalisation hypermétropique en moyenne périphérie rétinienne.

Les dispositifs freinateurs sont actuellement les verres et les lentilles de contact défocalisants, ainsi que l’atropine diluée. À ce jour, il existe 3 types de verres disponibles avec un principe commun (agit sur la défocalisation périphérique) mais présentant 3 technologies différentes. Les résultats des études princeps ont démontré leur efficacité sur la freination de la réfraction (de 55 à 59%) et sur la longueur axiale (de 51 à 60%). Les lentilles défocalisantes obtiennent des résultats comparables et peuvent être aussi proposées, bien que moins pratiques à l’usage chez l’enfant. L’orthokératologie pourrait avoir une place dans cet arsenal mais il n’y a pas d’étude randomisée publiée à ce jour pour valider cette prise en charge. Les meilleurs résultats actuels sont au bénéfice de l’atropine diluée à 0,01 et 0,05% et, aux travers des plus grosses cohortes étudiées, montrent une diminution de 70% de l’évolution myopique. En 2022, la prise en charge de la myopie de l’enfant et de son évolution doit donc être fondée sur des actions de prévention et de freination pour essayer de juguler l’épidémie annoncée des années à venir.

Suivi orthoptique et prise en charge pour les glaucomes évolués
D’après l’intervention de Mathilde Boulet et de Céline Sonnet
Le glaucome est une pathologie d’évolution lente et silencieuse, qui peut donc être découverte tardivement. Les campagnes de dépistage permettent de plus en plus souvent des diagnostics précoces. Pourtant, une prise en charge en basse vision n’est généralement proposée que lorsque le point de fixation est menacé ou que tout traitement a atteint ses limites pour en stabiliser l’évolution. La prise en soin orthoptique d’un patient s’appuie sur l’acuité résiduelle et les zones de champ visuel préservées, mais aussi sur l’explication de sa vision.
L’orthoptie fait partie des prérequis à une prise en soin pluridisciplinaire : elle permet d’expliquer au patient sa vision actuelle, avec ses limites et ses possibilités, mais aussi les informations données par une vision dite « normale » ; ce travail prépare à l’analyse de tâche, afin que le patient sache quand aller chercher ces informations avec ses autres sens lorsque la vision n’est pas efficace. La maîtrise de l’oculomotricité s’appuie aussi sur les autres sens (toucher, proprioception, audition) et la mémoire.
Les autres disciplines que sont la psychomotricité, l’ergothérapie informatique et vie quotidienne et la locomotion représentent une somme importante de notions à acquérir lorsqu’il s’agit d’une première réadaptation : apprentissages multisensoriels, modification de multiples gestes, sollicitation des fonctions cognitives, création ou modification de représentations mentales de situations, ces dernières étant fondatrices de tous ces apprentissages.
La nécessité d’une venue plus précoce impose 2 axes de réflexion : l’un à destination des professionnels de santé par un entretien mettant en évidence la moindre diminution ou le moindre abandon d’activités, en testant la fonction de sensibilité aux contrastes qui est atteinte précocement chez ces patients et la vision périphérique afin de détecter des atteintes pouvant déjà pénaliser leurs déplacements ; l’autre à destination des patients pour leur expliquer leur vision.

Évaluation préopératoire de StraboCheck dans le strabisme horizontal concomitant de l’enfant
D’après l’intervention du Dr Cassem Azri

L’examen de référence pour évaluer l’angle strabique est le test à l’écran alterné (Cover Test = PCT). C’est une méthode dissociative et subjective qui nécessite un utilisateur expérimenté et des patients (notamment des enfants) coopérants, avec une variabilité interexaminateur significative qui augmente avec les grandes déviations d’angle. Des méthodes objectives de mesure automatisées des déviations ont été développées à partir de la méthode clinique des reflets de Hirschberg et de modèles mathématiques.

Strabocheck (SK) est un logiciel gratuit, en ligne sans téléchargement (https:// strabocheck.com/), développé par le service d’ophtalmologie du CHU de Nantes. C’est un outil de mesure de la déviation fondé sur les reflets cornéens qui calcule l’angle objectif, non dissociant, permettant notamment de mesurer la déviation sous anesthésie générale. Le calcul repose sur la différence positionnelle relative des reflets cornéens entre des photographies mono- et binoculaires. Ainsi, 3 photos sont prises avec flash à 1,50 m et ensuite téléchargées sur le site (accessible aussi par mobile) pour analyse. Le but de l’étude était d’évaluer SK dans le strabisme horizontal concomitant chez des enfants devant subir une intervention chirurgicale. Les enfants de moins de 16 ans présentant un strabisme horizontal opérés entre octobre 2020 et mai 2021 ont été inclus prospectivement. Ils étaient séparés en 3 groupes : exotropie intermittente (XT), ésotropie infantile (IET) et ésotropie partiellement accommodative (PET). Tous les patients inclus ont eu un examen clinique complet avant et 6 mois après la chirurgie. Les données recueillies étaient l’âge, le type de strabisme, la mesure de l’angle en dioptrie (D) avec PCT de loin (DPCT), PCT de près (NPCT) et SK avant la chirurgie, après la chirurgie et sous anesthésie générale (AG), la meilleure acuité visuelle corrigée (BCVA), le stéréotest de Lang, le score de Newcastle pour l’exotropie, la mesure de la réfraction complète après cycloplégie, le calcul de l’équivalent sphérique et la présence ou non d’amblyopie. Quarante-quatre enfants ayant subi une chirurgie du strabisme horizontal ont été inclus. Il y avait 17 IET, 14 XT et 13 PET. La corrélation (R) entre DPCT et SK était de 0,87 (p < 0,001), R NPCT-SK était de 0,86. Dans le groupe XT, IET et PET, le R DPCT-SK était respectivement de 0,13, 0,77 et 0,77. Le R DPCT-SK dans le groupe XT n’a pas été jugé significatif. Le R DPCT-SK et le NPCT-SK chez les patients postopératoires étaient respectivement de 0,74 et 0,69 (p < 0,001). La différence moyenne dans la mesure de l’angle préopératoire entre DPCT et SK, NPCT et SK était respectivement de 11,9 D ± 9,8 et 14,8 D ± 9,9. Les graphiques de Bland-Altman représentent le désaccord entre les mesures DPCT et SK, l’intervalle limite préopératoire à 95% était de -30,0 [-34,4 ; -25,6] à 31,0 D [26,7 ; 35,4]. La différence moyenne dans la mesure de l’angle postopératoire entre DPCT et SK, NPCT et SK était respectivement de 7,8 D ± 5,7 et 8,5 D ± 7,1. L’intervalle limite postopératoire à 95% était de -21,8 [-24,9 ; -18,7] à 16,1 D [13,1 ; 19,2]. Une forte corrélation entre SK et PCT chez les patients préopératoires et postopératoires a été retrouvée, excepté pour le groupe XT. Ce résultat montre la limite d’une méthode de mesure non dissociative dans les exotropies intermittentes, car les enfants peuvent compenser partiellement ou complètement leur déviation angulaire. La différence moyenne entre PCT et SK et les graphiques de Bland-Altman montrait des valeurs de biais non négligeables. Cela indique que SK ne peut pas remplacer la mesure de l’angle à l’écran alterné chez les enfants subissant une chirurgie du strabisme horizontal. Si le SK peut être recommandé chez les enfants pour la surveillance préopératoire et postopératoire des ésotropies – sa mesure étant reproductible et assez fiable –, sa discordance avec la mesure à l’écran alterné (en particulier dans les exotropies) ne permet pas de l’utiliser pour la stratégie chirurgicale. Il pourrait cependant être intéressant en recherche clinique car il pourrait fournir une mesure reproductible avec photographie à l’appui permettant de faciliter la comparaison entre les études.

Jusqu’à quand traiter une amblyopie ?
D’après l’intervention du Dr Marie Beylerian
L’amblyopie est définie comme une différence d’acuité visuelle (AV) interoculaire de 2 lignes ou plus malgré le port d’une correction optique optimale. La rééducation vise à obtenir l’AV maximale possible sur l’œil amblyope. L’une des questions restant souvent en suspens en cas de non-évolution favorable ou de stagnation de l’AV est de savoir jusqu’à quand on doit s’efforcer de traiter cette amblyopie. L’âge de prise en charge est souvent mis en avant comme un frein à la bonne récupération de l’AV. Les études menés par le Pediatric Eye Disease Investigator Group (PEDIG) concluent que si le traitement de l’amblyopie est le plus efficace chez les enfants de moins de 7 ans, il engendre une amélioration de l’AV significative chez ceux âgés de 7 à 13 ans, bien que le taux de réponse puisse être plus lent, qu’il faille une dose plus importante d’occlusion et que l’étendue de la récupération puisse être moins complète. Toujours d’après une méta-analyse menée par le PEDIG, il existe une corrélation importante entre la réponse au traitement et l’âge, surtout pour les amblyopies profondes. Les 7 à 13 ans sont moins réactifs aux traitements que les 3 à 5 ans, tant pour l’amblyopie modérée que l’amblyopie sévère. Cependant, bien que moins importante, une amélioration de l’AV est tout de même constatée. Les auteurs en concluent donc qu’il faudrait proposer le traitement à des adolescents plus âgés, en allant même jusqu’à 17 ans. Cela a fait l’objet d’une étude du PEDIG parue en 2004, portant sur des enfants de 10 à 18 ans. Elle a montré une amélioration de 2 lignes d’AV ou plus chez 27% des patients âgés de 13 à 18 ans traités par occlusion quotidienne et validé l’hypothèse d’un traitement bénéfique de l’amblyopie chez l’adolescent. En 2021, une étude du Dr Milleret consistant à injecter des astrocytes immatures pour évaluer la capacité à promouvoir la plasticité du cortex visuel chez la souris a mis en évidence une réouverture d’un haut degré de plasticité. Elle en conclut que la diminution des astrocytes matures pendant la période critique est requise pour la maturation à terme de l’inhibition du cortex visuel primaire. Ces résultats impliquent qu’à terme, nous pourrions évaluer l’âge précis de la fin de la période plastique chez l’homme. Pour savoir jusqu’à quand rééduquer, il faut aussi tenir compte de l’AV initiale. Plus elle est mauvaise, plus le traitement devra être mis en place précocement. Le taux de récidive après la fin du traitement est de 25%, et 100% plus élevé si les enfants n’ont pas bénéficié d’une diminution progressive du rythme d’occlusion avec une période d’entretien, surtout si l’AV récupérée est importante par rapport à l’AV initiale. Le type d’amblyopie est aussi un paramètre important dans la décision de l’arrêt du traitement. Dans l’amplyopie organique, la principale altération de la privation visuelle est une modification des colonnes de dominance oculaire impliquant un pronostic visuel très mauvais. Dans l’amblyopie anisométropique, la suppression est principalement fovéale mais la périphérie continue de fusionner les images. Ce qui implique un déficit d’AV mais une relative préservation de la vision binoculaire, et donc un pronostic visuel plus favorable. Pour l’amblyopie strabique, il existe une restructuration des circuits visuels au niveau du cortex visuel, ce qui engendre d’importants déficits d’AV, une perte de la vision binoculaire et par conséquent un pronostic visuel sévère. Enfin, dans l’amblyopie mixte qui combine 2 facteurs amblyogènes, on retrouvera des déficits plus sévères, avec une exacerbation de la perte d’AV et de la sensibilité au contraste et une extinction de la stéréopsie. Malgré ces pronostics différents, les méta-analyses concluent qu’il n’y a pas d’association entre l’amélioration de l’AV et le type d’amblyopie lors d’un traitement de l’amblyopie bien mené, hormis pour l’amblyopie organique pour laquelle la variabilité des résultats ne permet pas de conclure. Le fait de stopper ou non un traitement de l’amblyopie peut aussi être motivé par l’adhésion au traitement des enfants, mais aussi des parents. Des études PEDIG ont montré qu’il existait une relation dose-réponse entre l’adhésion au traitement et le résultat visuel. Pradeep et al. ont mené un essai contrôle, randomisé, constitué d’un bras qui bénéficiait d’un matériel « motivationnel » (livrets, BD, autocollants…) et d’un bras sans matériel lors d’une rééducation impliquant 10 heures d’occlusion par jour. Les résultats de cette étude sont sans appel avec un taux d’adhésion au traitement de 80,6% dans le groupe matériel motivationnel vs 45,2% dans le groupe témoin.

Pour répondre à la question « jusqu’à quand rééduquer ? », cela va dépendre de l’âge du patient – sachant que l’on peut traiter jusqu’à 13 ans, voire plus selon le degré de coopération des enfants et des parents – du type d’amblyopie – et notamment savoir s’arrêter dans le cas d’une amblyopie organique profonde – et enfin de l’AV initiale, en sachant que plus elle est faible, plus le traitement devra être précoce et sévère, en faisant attention à la récurrence surtout si l’AV récupérée est importante par rapport à l’AV initiale.

Auteurs

  • Vivien Vasseur

    Orthoptiste

    Fondation ophtalmologique Adolphe de Rothschild, Paris – Centre ophtalmologique Maison Rouge, Strasbourg.

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