Épidémiologie de la DMLA exsudative en France : l’étude LANDSCAPE, ou comment les données de l’Assurance maladie nous renseignent sur les pathologies
Pour évaluer la prévalence ou l’incidence d’une maladie, on analyse de manière classique leur taux au sein de cohortes dans des études qui présentent l’inconvénient d’être coûteuses et de concerner une population limitée. C’est pourquoi les cliniciens se tournent désormais vers d’autres modalités d’analyse de données, dont celles de l’Assurance maladie. Il est ainsi possible de répertorier certaines pathologies à partir d’un diagnostic ou d’un traitement, et ce de manière moins onéreuse.
La dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA) constitue la première cause de cécité dans les pays industrialisés. La forme exsudative n’en constitue pas la principale composante mais elle demeure, pour l’instant, la seule cause traitable. Cette situation s’est donc traduite par une augmentation très forte du nombre d’injections d’anti-Vascular Endothelial Growth Factor (anti-VEGF), qui approchent actuellement en France le chiffre de 900 000 par an, même si la DMLA ne constitue pas la seule cause d’injections d’anti-VEGF bien entendu.
Quand on veut évaluer la prévalence ou l’incidence d’une maladie, la méthode la plus classique repose sur l’analyse des taux d’incidence et de prévalence au sein de cohortes. Il en existe plusieurs en France avec une compo sante ophtalmologique et on peut citer de façon non exhaustive les études POLA, ALIENOR et MONTRACHET [1-3]. Ces cohortes recrutent des individus souvent tirés au sort dans la population générale et suivis pendant de nombreuses années. Elles ont l’inconvénient d’être très onéreuses, surtout si on veut effectuer un suivi long avec un risque d’attrition élevé avec le temps – en particulier si on s’intéresse à des patients âgés comme c’est le cas pour les 2 dernières. C’est pourquoi les cliniciens se sont tournés vers d’autres modalités d’analyse de données concernant des populations encore plus étendues. Ces données nous procurent une modalité d’évaluation de suivi de vraie vie sur des populations beaucoup plus larges, parfois le pays en entier – c’est le cas des données de l’Assurance maladie en France – en recueillant tout ce qui est relevé au fil du temps. Le recueil des données est limité et parfois indirect – on ne sait pas qu’un patient est diabétique mais on sait qu’il prend un traitement antidiabétique. Ces études permettent généralement un suivi prolongé – parfois pendant plus de 10 ans – avec un nombre de patients élevé et un coût moindre. C’est le reflet factuel des actes et consommations de soins.
Le concept de big data – littéralement « grosses données » ou « méga-données » – désigne des ensembles de données devenus si volumineux qu’ils dépassent l’intuition et les capacités humaines d’analyse et même celles des outils d’information classique de gestion de bases de données ou d’informations. Ces analyses sont donc complexes et demandent des compétences et des outils d’analyse très poussés. Il faut définir des algorithmes permettant de repérer les pathologies sous forme d’une sorte de « script ». Les données issues de l’Assurance maladie constituent une source très précieuse d’analyse d’offres de soins en France [4]. ll est assez aisé d’analyser l’épidémiologie de certaines affections dans notre pays à partir des diagnostics retrouvés dans le PMSI (Programme de médicalisation des systèmes d’information) ou de l’évolution des pratiques avec les données saisies par chaque praticien, surtout si cette pratique donne lieu à une hospitalisation [5,6]. Ces analyses permettent ainsi d’établir des projections d’offres de soins dans la prise en charge de grandes pathologies (glaucome, rétine) [4]. Les pathologies donnant lieu à une prise en charge externe sont plus difficiles à repérer car il n’y a pas de saisie de diagnostic : elles sont alors identifiées avant tout à partir de leur traitement. On peut par exemple évaluer la consommation de soins chez les patients diabétiques ou d’antibiotiques prescrits dans l’environ nement des injections intravitréennes [7,8].
L’étude LANDSCAPE s’est attachée à l’analyse des données sur la DMLA en France entre 2008 et 2018, en repérant les patients à partir de la prescription d’anti-VEGF ou le recueil d’un acte de photothérapie dynamique (PDT) [9]. Elle a identifié les individus traités après l’âge de 50 ans avec prescription d’au moins une injection d’anti-VEGF. Ont été exclus les individus présentant un œdème maculaire diabétique ou lié à une occlusion veineuse – si ce diagnostic était saisi par un code IC-10 H 30-36 –, les patients myopes forts – identifiés par le rem boursement d’une correction de forte puissance –, le relevé d’un acte par laser maculaire ou d’une panphotocoagulation ou d’une injection d’implant de dexaméthasone. A contrario, il était possible d’inclure des patients porteurs d’une DMLA repérés par un code diagnostique ICD-10 (code H 35.3). Un certain nombre d’affections ou de comorbidités associées ont également été étudiées : chirurgie de la cataracte, autres traitements oculaires, pathologies cardio- et neurovasculaires dans leur ensemble et cancer... Le poids de la comorbidité au cours des années précédentes a été décrit en utilisant l’index de Charlson. Il nous a semblé intéressant d’étudier également la relation avec la densité médicale et particulièrement en ophtalmologie.
Les données d’incidence et de prévalence ne concernent donc que la dégénérescence maculaire exsudative. Entre 2008 et 2018, 342 961 patients (dont 67,5% de femmes) ayant bénéficié d’au moins une injection d’anti-VEGF ont été identifiés. L’incidence annuelle est de 0,149%, avec un âge moyen qui est passé de 78,8 ans en 2008 à 81 ans environ en 2018. L’incidence annuelle augmente avec l’âge. Elle passe de 0,001% entre 50 et 54 ans à 0,672% après 85 ans. La prévalence en 2018 était de 1,062% pour la population française totale, passant de 0,005% entre 50 et 54 ans à 6,272% au-delà de 85 ans. Il n’y a pas de différence régionale en France tant pour l’incidence que la prévalence. Il n’a pas non plus été noté d’impact de la présence d’offre de soins ophtalmologiques sur cette incidence.
L’analyse par classe d’âge permet une comparaison avec les autres études : l’étude ALIENOR, réalisée à Bordeaux sur une population de 80 ans ou plus, retrouvait une incidence plus élevée (0,603% vs 0,94%) mais le diagnostic reposait sur de l’imagerie multimodale [2]. L’étude ICELANDIC, incluant 439 patients de plus de 60 ans, rapportait des chiffres semblables (0,22% vs 0,29%) [10] et notre étude rapportait des chiffres d’incidence plus élevés que l’étude portugaise de Coimbra (0,179% vs 0,067%) [11]. De façon intéressante, l’incidence est restée assez stable au cours de cette période – en dehors d’une petite augmentation en 2014, certainement liée à l’arrivée sur le marché de l’aflibercept. L’absence d’augmentation de l’incidence en dépit du vieillissement de la population peut être expliquée par une amélioration globale de l’état de santé de cette dernière, comme cela a été retrouvé dans d’autres pathologies (la démence en particulier). Les chiffres de prévalence sont identiques à ceux de l’étude ALIENOR pour la même classe d’âge (sur 963 individus) : 4,8 vs 4,9. D’autres études épidémiologiques européen nes retrouvent des chiffres assez proches. L’étude de Colijn et al., colligeant plusieurs études en Europe dont ALIENOR et MONTRACHET, retrouvait une prévalence de l’ordre de 9,8% après 85 ans, assez cohérente avec le chiffre de 6,3% retrouvé dans l’étude actuelle qui n’identifie que les DMLA exsudatives [12].
Bien entendu, l’analyse de ces données appelle certaines précautions. Une prescription n’est pas le garant d’une utilisation adéquate ou d’une certitude diagnostique. Le repérage des patients reste toujours sujet à caution : un patient peut être diabétique et traité pour une DMLA même si on a pris soin de rechercher un œdème maculaire par d’autres critères. Les données de l’Assurance maladie reposent sur un codage conçu avant tout à visée de tarification. Des contrôles sont effectués régulièrement et les codages sont « certifiés », mais il existe toujours une possibilité d’erreur. Certains faits sont d’ailleurs associés aux pathologies ou aux individus mais ne sont pas identifiés : le tabac par exemple. Enfin il est très difficile de décrire finement la pratique (fréquence d’injections, régime, etc.) car la latéralité n’est pas recueillie : on ne connaît donc pas le nombre d’injections effectuées pour un œil. On n’a accès qu’à un nombre de consultations et de prescriptions pour un individu donné.
Déjà utilisé dans le domaine des complications liées à certaines chirurgie ou injections intravitréennes, les données de l’Assurance maladie peuvent ainsi être également utilisées pour avoir une approche de l’incidence et de la prévalence des maladies. Cette analyse suppose toutefois que le traitement permette d’identifier parfaitement les pathologies. Il est difficile de distinguer, à partir de ces données, une injection faite pour un œdème maculaire diabétique d’une injection faite pour une DMLA chez un patient diabétique. La même étude peut être effectuée pour d’autres pathologies, comme l’œdème maculaire diabétique [13]. Ces études peuvent également être très intéressantes pour évaluer le suivi des patients et leur adhésion au traitement. Elles ne remplacent toute fois pas les informations essentielles recueillies à partir des dossiers informatisés des patients, comme cela est le cas dans le registre Iris ou dans le celui du FRB (Fight Retinal Blindness!) [14]. Ces résultats confirment l’intérêt de la complémentarité entre les différentes modalités de recueil des informations.
Références bibliographiques
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