Gestion des déficits limbiques

Le déficit en cellules souches limbiques, principalement dû à des brûlures oculaires graves, entraîne une destruction de la surface oculaire pouvant aller jusqu’à la perforation cornéenne. Lorsqu’il est total, ce syndrome induit une invalidité majeure. La gravité du déficit a été classifiée en 3 stades par une conférence de consensus international [1]. Dans les formes les plus graves, un apport de cellules souches est indispensable pour régénérer l’épithélium cornéen.

Le déficit en cellules souches limbiques (LSC) est caractérisé par une invasion de la surface cornéenne, par un épithélium avec une différenciation conjonctivale et une altération de la cicatrisation épithéliale cornéenne et des ulcères cornéens chroniques pouvant entraîner une perforation cornéenne. S’y associent une inflammation de la surface oculaire et des cicatrices stromales.

Le diagnostic repose sur l’hyperperméabilité de l’épithélium cornéen à la fluorescéine avec une fluorescence irrégulière, sur la néovascularisation cornéenne superficielle et sur l’opacité de l’épithélium cornéen. Il est confirmé par l’étude du limbe en OCT, la microscopie confocale, voire les empreintes cornéennes avec immunomarquages. Le mapping épithélial cornéen à l’OCT montre souvent un aspect en rayons de roue. Cet aspect est très évocateur de la pathologie (figure 1). Au stade I du déficit, la zone centrale de la cornée reste normale ; au stade II, elle est atteinte mais il persiste en périphérie du limbe sain ; au stade III, toute la surface cornéenne est atteinte.

Comment gérer un déficit limbique ?

L’insuffisance limbique est souvent traitée par une greffe de cellules souches. Il faut néanmoins d’abord corriger les autres anomalies de la surface oculaire qui peuvent y être associées : anomalie de la statique palpébrale, inflammation, cicatrices conjonctivales, sécheresse oculaire et kératopathie neurotrophique.
Dans les formes modérées, avec un épithélium cornéen central qui reste sain, il n’y a pas d’indication à une greffe de cellules souches. Il convient cependant de favoriser la survie des cellules souches limbiques résiduelles en utilisant des substituts de larmes sans conservateurs, le collyre au sérum autologue et, si nécessaire, en adaptant une lentille sclérale.

Lorsque l’épithélium cornéen central est pathologique, mais qu’il persiste dans certaines zones un épithélium limbique normal, on peut proposer une exérèse de l’épithélium cornéen et limbique pathologique, associée ou non à une greffe de membrane amniotique, dans le but d’obtenir une recolonisation de la surface oculaire par un épithélium cornéen sain provenant des zones de limbe épargnées (figure 2).

Lorsqu’il ne reste plus, ou pratiquement plus, d’épithélium limbique sain avec un épithélium cornéen central pathologique, il faut un apport de cellules souches pour pouvoir régénérer l’épithélium cornéen. Si l’atteinte est unilatérale, on peut prélever des cellules souches sur l’œil sain et les transplanter sur l’œil pathologique en 1 temps (autogreffe de tissu limbique, Simple Limbal Epithelial Transplantation [SLET]) ou en 2 temps (greffe de cellules souches limbiques autologues cultivées). Dans le cas d’une atteinte bilatérale ou sur œil unique, on peut réaliser une allogreffe de tissu limbique, une allogreffe de cellules souches limbiques cultivées, une autogreffe de cellules de la muqueuse buccale cultivées, voire une kératoprothèse. Les allogreffes nécessitent une immunosuppression systémique pour prévenir le rejet.

Autogreffes de tissu limbique

Une autogreffe kérato-limbique (KLAU) se compose du limbe et d’une partie de la cornée périphérique, tandis qu’une autogreffe conjonctivo-limbique (CLAU) est constituée de tissu conjonctival et limbique sans tissu cornéen. L’amélioration de l’acuité visuelle et de la surface oculaire est obtenue dans 35 à 88% des cas [2]. Il faut toutefois prélever 40 à 50% du limbe du donneur, ce qui peut fragiliser l’œil sain du donneur. De plus, la procédure ne peut pas être répétée en cas d’échec.

Transplantation de LSC autologues cultivées ex vivo

L’expansion ex vivo de LSC autologues à partir d’une petite biopsie limbique permet de minimiser le prélèvement réalisé sur l’œil sain. Les divers protocoles de culture des LSC proposés diffèrent par leurs méthodes d’extraction des cellules du matériel de biopsie, les types de substrats et de supports utilisés pour la culture, la présence ou non de produits d’origine animale. La culture d’explants sur membrane amniotique a été couramment utilisée pour cultiver des LSC sans avoir besoin de feeders [3].

Les taux de réussite varient, selon les études, entre 63 et 100% ; à long terme, 50 à 86% des autogreffes sont considérées comme des succès. Ils sont donc similaires à ceux obtenus par CLAU. Dans notre expérience, la transplantation de LSC autologues cultivées est associée à une survie élevée à long terme, à une amélioration remarquable de l’acuité visuelle et à une très faible fréquence d’événements indésirables (figure 3) [4]. La transplantation de tissu limbique autologue présentait une efficacité similaire mais une sécurité moindre. Les principaux avantages des LSC autologues cultivées ex vivo sont l’origine autologue des LSC et la petite taille de la biopsie limbique. Toutefois, cette approche nécessite un laboratoire spécialisé pour cultiver les LSC et les coûts sont élevés.

Simple Limbal Epithelial Transplantation (SLET)

Dans cette procédure, une petite biopsie (1 heure) de tissu limbique est prélevée sur l’œil sain du patient, divisée en plusieurs petits morceaux qui sont fixés avec une colle biologique (fibrine) sur une membrane amniotique elle-même fixée sur la cornée pathologique désépithélialisée. C’est une procédure économiquement plus favorable que la transplantation de LSC cultivées ex vivo. Le taux de réussite de la plus grande série est de 76%, avec une amélioration de l’acuité visuelle de 2 lignes ou plus dans 75% des cas (figure 4). Une limitation de cette technique est le risque de perte de certains explants limbiques transplantés.

Allogreffe de tissu limbique (CLAL/KLAL)

Les sources de LSC pour les allogreffes de tissu limbique sont le tissu limbique d’un donneur vivant apparenté ou non qui peut être apparié (groupe sanguin ABO et/ou antigènes leucocytaires humains [HLA]) ou partiellement apparié, ou le tissu limbique non apparié prélevé sur un donneur décédé. Dans le cas d’une greffe à partir d’un greffon (donneur décédé), le nombre de cellules souches greffées est optimal – la totalité de la circonférence limbique est greffée –, mais la compatibilité entre le donneur et le receveur est habituellement faible. Les greffons prélevés sur un donneur vivant sont de taille plus restreinte – le greffon est moins riche en cellules souches limbiques –, mais présentent une meilleure compatibilité. Le rejet est la principale cause d’échec de ces greffes. Une immunosuppression appropriée est nécessaire afin d’améliorer la survie à long terme. Nous ne savons pas actuellement si l’appariement ABO et HLA entre donneur et receveur permet de diminuer le risque de rejet.

Transplantation de LSC allogéniques cultivées ex vivo

La transplantation de LSC allogéniques cultivées ex vivo prélevées sur des donneurs vivants ou décédés non apparentés est une option thérapeutique pour les cas bilatéraux. Le principal risque est le rejet, qui nécessite une immunosuppression systémique prolongée et peut également entraîner un échec tardif de la greffe. Les résultats à long terme sont proches de ceux des allogreffes KLAL et CLAL. Les événements indésirables graves sont fréquents, notamment les kératites infectieuses.
La survie de l’épithélium cornéen transplanté diminue avec le délai postopératoire malgré de bons résultats à court terme. L’utilisation des LSC allogéniques prélevées chez un donneur vivant apparenté pourrait fournir de meilleurs résultats : 71% de succès après un suivi moyen de 5 ans avec une acuité visuelle finale à 20/60 ou plus dans 68% des cas. Ces bons résultats pourraient être le fruit d’une meilleure compatibilité tissulaire ainsi qu’une meilleure qualité du greffon. Enfin, l’immunosuppression systémique peut être prolongée pour augmenter le taux de réussite à long terme, mais avec un risque d’effets indésirables graves.

Greffe de muqueuse buccale et transplantation d’épithélium de la muqueuse orale cultivée

La greffe de muqueuse orale autologue et la greffe épithéliale de muqueuse orale cultivée (COMET) permettent d’éviter le rejet. La première étude clinique utilisant la COMET a été réalisée en 2002 avec de bons résultats. Plusieurs protocoles pour la culture cellulaire ont été proposés, bien que la plupart des études utilisent la membrane amniotique comme support de culture. Nous ne savons pas actuellement si cette technique est supérieure à la transplantation allogénique de LSC.

Références bibliographiques
[1] Deng SX, Borderie V, Chan CC et al. Global consensus on the definition, classification, diagnosis and staging of limbal stem cell deficiency. Cornea. 2019;38(3):364-75.
[2] Moldovan SM, Borderie V, Baudrimont M, Laroche L. [Treatment of unilateral limbal stem cell deficiency syndrome by limbal autograft]. J Fr Ophtalmol. 1999;22(3):302-9.
[3] Sangwan VS, Basu S, Vemuganti GK et al. Clinical outcomes of xeno-free autologous cultivated limbal epithelial transplantation: a 10-year study. Br J Ophthalmol. 2011;95(11):1525-9.
[4] Borderie VM, Ghoubay D, Georgeon C et al. Long-term results of cultured limbal stem cell versus limbal tissue transplantation in stage III limbal deficiency. Stem Cells Transl Med. 2019;8(12):1230-41.
[5] Basu S, Sureka SP, Shanbhag SS et al. Simple limbal epithelial transplantation: long-term clinical outcomes in 125 cases of unilateral chronic ocular surface burns. Ophthalmology. 2016;123(5):1000-10.

Auteurs

  • Vincent Borderie

    Ophtalmologiste

    CHNO des Quinze-Vingts, Sorbonne université, Paris

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