Glaucome : prise en charge, règles à respecter Le point de vue des experts
Symposium Allergan

La conduite à tenir devant un glaucome n’est pas toujours évidente. Quels sont les pièges à éviter ? Quelle est la place de l’OCT et va-t-il remplacer le champ visuel ? Les experts donnent des réponses claires pour une prise en charge optimale des patients glaucomateux.
De quoi parlons-nous ?
D’après la communication du Pr Alain Bron
Les termes utilisés pour décrire le glaucome sont nombreux, souvent redondants, parfois utilisés à tort. Ces dernières années, une uniformisation a été mise en place grâce à l’usage de la nosologie, l’étude de la classification des maladies. En voici quelques exemples.
L’expression « hypertension intraoculaire (HTIO) isolée » est un pléonasme et ne devrait plus être utilisée. Par définition, une HTIO n’est pas associée à une neuropathie glaucomateuse ; le terme « isolé » est donc inutile.
La formule « glaucome aigu » est erronée. Dans une crise aiguë par fermeture de l’angle, le premier organe à souffrir de l’hypertonie est l’endothélium cornéen, suivi de l’épithélium du cristallin (donnant les Glaukomflecken) puis du trabéculum. Le nerf optique n’est atteint que tardivement, donc parler d’une neuropathie optique n’est pas pertinent.
La terminologie des glaucomes par fermeture de l’angle a été récemment remise à jour. Il ne faut plus écrire « angle étroit », qui est trop imprécis. La classification de Paul Foster reprend les bases : on parle de Primary Angle Closure (PAC) suspect quand le trabéculum n’est pas vu sur 180°, de PAC devant des signes d’obstruction du trabéculum (synéchies, pression intraoculaire (PIO) élevée, atteinte irienne, etc.), et enfin de PAC Glaucoma dans le cas d’une neuropathie optique glaucomateuse.
Les glaucomes prépérimétriques existent mais l’utilisation abusive de ce terme peut être source d’erreur. On les évoque souvent faussement après une mauvaise interprétation de la tomographie par cohérence optique (OCT). Par exemple, l’OCT peut détecter une épaisseur des fibres optiques rétiniennes (RNFL) abaissée chez les patients avec une nasalisation des vaisseaux, qui est en fait une variation de la normale non pathologique. L’analyse OCT de l’épaisseur minimale de l’anneau neurorétinien est utile pour faire la différence avec un véritable déficit du RNFL.
Pour conclure, les problèmes de définition sont fréquents. L’usage de termes communs et clairs permet d’éviter les imprécisions diagnostiques qui peuvent entraîner des prises en charge excessives ou au contraire insuffisantes.
Pression intraoculaire : suivi et prise en charge ?
D’après la communication du Pr Florent Aptel
La Haute Autorité de santé a récemment mis à jour en janvier 2022 les recommandations de bonnes pratiques dans la prise en charge du glaucome primitif à angle ouvert et de l’hypertonie intraoculaire.
La PIO cible n’est pas définie selon une règle stricte. Elle est d’autant plus basse que le glaucome est sévère, qu’il progresse rapidement, que le sujet est jeune, que la PIO avant traitement est basse, devant un œil unique ou des facteurs de risque de progression (antécédent familial, pseudo-exfoliation, myopie forte, hémorragie péripapillaire, cornée fine).
Les prostaglandines sont les molécules les plus efficaces sur la baisse de la PIO (-30%), suivies des bêtabloquants (-25%). Leur efficacité varie selon le moment de la journée : les prostaglandines ont un effet jour-nuit identique car elles remodèlent le tissu du corps ciliaire, tandis que les bêtabloquants n’agissent qu’en journée via les récepteurs adrénergiques.
Si le glaucome progresse, la baisse de la PIO cible et des contrôles plus rapprochés sont indiqués.
Sous prostaglandines, l’effet sur la vitesse d’évolution est visible dès 1 an. Expliquer au patient cette efficacité majeure et rapide va permettre de le motiver ; l’observance en sera alors renforcée.
Les prostaglandines doivent être évitées devant un glaucome traumatique ou inflammatoire, un risque d’œdème maculaire, un pic pressionnel postopératoire, un traitement unilatéral (si raison esthétique) et chez les femmes enceintes.
Les combinaisons sont à privilégier afin d’améliorer l’observance. Il faut éviter les conservateurs, dont l’effet toxique est dose-dépendant.
Une bithérapie d’emblée est bien sûr plus efficace qu’une monothérapie mais elle est associée à plus d’effets indésirables. On commence d’emblée par une combinaison dans le cas d’un œil unique, d’une PIO très élevée (supérieure à 30-35 mmHg), d’un glaucome agonique ou à risque d’évolution très élevé.
La réduction pressionnelle selon le nombre de molécules n’est pas linéaire. Ainsi, la différence d’efficacité entre une mono- et une bithérapie est plus importante que celle entre une bi- et une trithérapie. Dans le cas d’une progression, on pèsera donc bien le pour (réduction pressionnelle mais plus modérée) et le contre (mauvaise tolérance) avant de majorer le traitement.
Le traitement chirurgical n’est pas toujours plus efficace que le médical. En effet, à baisse pressionnelle identique, la chirurgie ne ralentit pas plus l’évolution d’un glaucome qu’un traitement médical. Elle doit donc être réservée aux glaucomes évolutifs sous traitement médical maximal.
En conclusion, le traitement du glaucome est un juste équilibre entre efficacité et tolérance.
Diagnostic et suivi à l’OCT
D’après la communication du Dr Yves Lachkar
L’OCT occupe aujourd’hui une place majeure dans le suivi du glaucome. Cependant il existe des pièges, qui peuvent être évités si on respecte certaines règles.
La vérification de la force du signal, du centrage et de la segmentation permet d’obtenir des images interprétables.
L’OCT est comparé à des bases de données. Dans le cas d’un âge extrême, d’une ethnie non caucasienne, d’une myopie forte (supérieure à 12 D), il n’est en théorie pas interprétable.
Les artefacts (membranes épirétiniennes, vitréopathie…) sont retrouvés dans 20 à 36% des examens.
Les papilles difficiles (myopie forte, dysversion papillaire, drusen du nerf optique) rendent l’OCT peu informatif.
L’effet plancher est responsable d’une stagnation du RNFL dans les glaucomes très avancés car la diminution de celui-ci n’est plus détectable.
Un complexe cellulaire ganglionnaire maculaire (GCC) pathologique n’est pas forcément un glaucome.
Il n’y a pas de valeur limite de progression du déficit du RNFL qui soit systématiquement pathologique. Cette valeur dépend de chaque patient, notamment de l’amétropie et de la taille du disque optique. La perte liée au vieillissement a été estimée à 0,5 µm/an.
Un changement du code couleur du jaune au rouge n’est pas toujours significatif. Selon la valeur seuil du logiciel, une valeur à x µm sera rouge alors qu’une valeur à x +1 µm apparaîtra jaune.
Les OCT ne sont comparables que s’ils ont été réalisés sur la même marque de machine et sur le même appareil.
Dans le cas d’une progression rapide, la fréquence d’examen doit être augmentée.
En définitive, il faut prendre en compte la globalité de la situation et se méfier de la « maladie du rouge » donnée par le code couleur.
Diagnostic et suivi au champ visuel
D’après la communication du Pr Jean-Philippe Nordmann
Le champ visuel est un examen ancien inventé par Goldmann en 1947 qui peut paraître simpliste. Pourtant, sa place au premier plan dans la prise en charge du glaucome s’est réaffirmée ces dernières années.
Au contraire de l’OCT, le champ visuel évalue le retentissement fonctionnel, la quantification et surtout la localisation du déficit. Il permet de mesurer la vitesse d’évolution, qui conditionne la stratégie thérapeutique selon le stade.
La périmétrie bleu-jaune et le FDT-Matrix permettent de repérer précocement un déficit campimétrique. Ces examens, encore populaires il y a quelques années, sont maintenant peu utilisés.
L’OCT est indispensable dans le cas d’une HTIO ou dans les phases précoces d’un glaucome, beaucoup moins dans les phases avancées. La détection d’une aggravation, à partir d’une situation normale, se fait 2 fois plus fréquemment par OCT que par champ visuel. Certains praticiens contrôlent même l’évolution du glaucome par OCT seul dans le cas d’un champ visuel initial normal et d’un OCT stable, mais ce mode de suivi est débattu.
Les déficits campimétriques évocateurs sont un ressaut nasal, un scotome paracentral (en faveur d’une part vasculaire), un déficit arciforme, voire un déficit diffus en présence d’une HTIO.
Le déficit du champ visuel n’est pas toujours corrélé au déficit en RNFL. Celui-ci peut beaucoup diminuer alors que le scotome reste inchangé. À l’inverse, dans les glaucomes très évolués, le déficit campimétrique progresse pendant que le RNFL stagne par effet plancher à environ 50 µm. Dans ces situations, l’étude du GCC est intéressante, sans oublier un effet plancher aussi présent.
Le suivi du champ visuel est réalisable par analyse d’événement ou de tendance.
L’analyse d’événement étudie la survenue, à un endroit donné d’un nouveau déficit, à partir du champ visuel initial. L’interprétation de l’analyse d’événement dépend de la variabilité du patient. Elle est estimée à partir de 2 champs visuels rapprochés dans le temps. Si le délai entre les 2 examens est trop long (6-8 mois), la différence entre ceux-ci peut n’être due qu’à l’aggravation du glaucome et non à la variabilité du patient.
L’analyse de tendance étudie le taux de progression à partir du déficit moyen (MD) ou du Visual Field Index. Le principal objectif de cette analyse est de repérer les 20% de progresseurs rapides, qui sont les patients avec une baisse du MD supérieure à 2 dB/an. Pour cela, il est recommandé de réaliser 3 champs visuels par an les 2 premières années.
En conclusion, le champ visuel est indispensable à toutes les phases du glaucome. L’OCT pourrait permettre de réduire la fréquence des champs visuels dans le cas d’une HTIO ou d’un glaucome modéré stable.
À chaque traitement sa tolérance
D’après la communication du Pr Christophe Baudouin
La tolérance du traitement médical est en permanence un compromis avec son efficacité. Les plaintes des patients doivent être écoutées et prises en compte.
Les bêtabloquants sont responsables d’effets secondaires systémiques proportionnels à la dose. Des troubles du sommeil, une dépression, une baisse de libido seront rapportés par le patient à l’ophtalmologiste dans une relation de confiance. Il ne faut pas non plus se braquer sur certaines contre-indications, comme un antécédent d’asthme dans l’enfance. En cas de doute, des administrations à faible dose toutes les 24 heures seront privilégiées.
L’évaluation de la tolérance locale est souvent incomplète. Voici quelques conseils pour éviter les erreurs les plus fréquentes.
On pense à tort que les effets indésirables locaux sont rares. Au contraire, ils sont rapportés chez 50% des patients ; ce nombre passe à 66% dans le groupe des patients sous trithérapie.
La sensation de picotement est fréquente lors de l’instillation, mais doit alerter si elle perdure dans le temps. Par ailleurs, une kératite toxique doit être systématiquement recherchée, dangereuse car paucisymptomatique.
Une allergie est souvent méconnue. Elle peut se manifester par un érythème le long du nez (excès de gouttes glissant sur la peau) et survenir de manière décalée, parfois plusieurs années après le début du traitement. Devant des patients supportant mal plusieurs traitements différents, il faut rechercher un allergène commun pour le supprimer ; les antihistaminiques sont inutiles.
Une toxicité est plus fréquente et plus sournoise qu’une allergie. Elle est temps- et dose-dépendante ; ainsi, la tolérance s’améliore lorsqu’on diminue la quantité.
On sous-estime les conséquences d’une mauvaise tolérance sur la qualité de vie, l’observance, les conditions opératoires et peut-être même sur la PIO. Les glaucomes les plus sévères sont associés à des problèmes de surface plus importants et plus fréquents (+33%). L’encapsulation et la perte d’efficacité de la bulle de filtration sont très étroitement liées à une fibrose accentuée en postopératoire, elle-même liée à l’inflammation préopératoire.
L’évaluation de la tolérance semble chronophage mais elle est rapide, réalisable dès l’entrée du patient (yeux rouges, blépharite, desquamation) et après la simple instillation d’une goutte de fluorescéine.
Une stratégie de soustraction (suppression de toxiques, combinaisons fixes, SLT) est bien plus efficace qu’une stratégie d’addition.
En bref, la tolérance doit être évaluée régulièrement sur le plan aussi bien systémique que local. Les erreurs sont multiples mais simples à corriger.