Intérêt de la simulation dans la formation des internes à la chirurgie
L’apprentissage de la chirurgie ophtalmique est un challenge que l’on peut résumer ainsi : comment concilier d’un côté la nécessité de former les internes avec, de l’autre, les exigences de résultat, de confort et de fiabilité bien légitimes des patients ? La réponse passe par le recours à la simulation en réalité virtuelle, qui permet aux futurs chirurgiens de s’entraîner en continu pendant leur cursus afin d’acquérir le niveau requis pour opérer en toute sécurité en situation réelle dès leur diplôme validé.
Prenons l’exemple le plus frappant et le plus fréquent : celui de la phako-émulsification (PKE). Entre les mains d’un opérateur formé, c’est une procédure rapide, dotée d’un excellent pronostic et réalisée à 99% sous anesthésie locale, y compris dans les structures de formation. Grâce aux implants premium, la chirurgie de la cataracte est parfois même perçue comme une véritable chirurgie réfractive, avec une exigence de résultats toujours plus grande pour les patients et, à l’opposé, des situations parfois très difficiles quand la chirurgie ne se passe pas comme prévu ou quand les résultats ne sont pas à la hauteur. La situation est certes un peu différente pour les autres interventions, notamment vitréo-rétiniennes, mais pour ces dernières, les occasions de se former sont moins nombreuses et l’accès à l’apprentissage reste souvent réservé à des internes en fin de cursus.
Dans ce contexte, l’apprentissage des techniques opératoires au cours du cursus du diplôme d’études spécialisées en ophtalmologie représente un défi croissant, pour les étudiants comme pour les enseignants. En effet, les internes ne peuvent pas toujours passer autant de temps qu’ils le souhaiteraient dans le bloc opératoire, en raison des autres aspects de la spécialité. Par ailleurs, surtout en début de cursus, il est parfois impossible de leur demander de réaliser eux-mêmes certains gestes opératoires pour des raisons évidentes de sécurité pour les patients. Ces 2 contraintes retardent finalement la formation pratique des internes et peuvent exposer à un surrisque lorsqu’ils sont amenés à assumer leur geste opératoire en tant qu’opérateur principal, une fois le DES validé.
Il est donc de l’intérêt de tous de promouvoir un accès facilité et précoce des DES à l’apprentissage des techniques chirurgicales, afin de leur permettre d’atteindre le plus vite possible le niveau requis pour opérer en situation réelle. Les outils de simulation sont reconnus à cet égard comme étant idoines, et nous avons la chance de disposer dans notre spécialité d’instruments très aboutis : ils permettent aux futurs chirurgiens d’acquérir toutes les capacités de base propres à notre chirurgie : apprentissage de la manipulation sous microscope binoculaire, gestion des pédales permettant d’adapter les caractéristiques du microscope et des diverses machines en peropératoire…
Principaux outils de simulation en chirurgie ophtalmologique (en dehors des yeux d’animaux)
Eyesi (VR magic)
C’est le système le plus répandu et le plus étudié. Il combine une interface en réalité virtuelle en 3D et une machine qui reproduit l’installation au bloc opératoire avec une vision à travers des oculaires, une tête de patient pour positionner ses mains, des outils réalis tes et 2 pédales contrôlant le microscope et le phako-émulsificateur (ou le vitréotome) (figure 1). Les résistances et la texture des tissus sont assez fidèlement reproduites par le simulateur. Le module cataracte comprend un programme d’apprentissage de tâches basiques qui permet de travailler les aptitudes microchirurgicales, le maniement du microscope, les mouvements dans les incisions et l’appréhension du volume de la chambre antérieure. Concernant la phako-émulsification à proprement parler, il permet la simulation de tous les temps opératoires (figure 2) avec tous les instruments habituels, mais aussi des situations techniquement difficiles et des complications (rhexis filé, rupture capsulaire).
Le module de chirurgie vitréo-rétinienne offre aussi des possibilités d’entraînement basiques pour appréhender les mouvements dans la cavité vitréenne. Il permet surtout de simuler un décollement postérieur du vitré, des vitrectomies centrales et périphériques, le pelage de la membrane limitante interne ou de membranes épirétiniennes (figure 3), les chirurgies des décollements de rétine ab interno avec tamponnement gazeux ou par huile de silicone. Le système permet de simuler l’indentation sclérale, les variations d’illumination et l’endolaser. L’inconvénient majeur de l’Eyesi est son prix très élevé (même si cela est compréhensible vu le niveau de technologie) et l’absence, pour le moment, d’application dans d’autres domaines chirurgicaux de l’ophtalmologie.
Simulateurs « en dur »
Le système Bioniko est constitué d’un globe oculaire artificiel en matériau synthétique qui permet une mise en situation de chirurgie de la cataracte et du ptérygion. Il offre aussi la possibilité de simuler une dissection de sclère, différentes interventions de segment postérieur et des interventions sur les muscles oculomoteurs (figure 4).
Le système Kitaro repose sur le même principe, mais est dédié à la simulation de la chirurgie de la cataracte, avec de nombreuses situations possibles (figure 5).
Ces 2 systèmes, certes moins coûteux à l’achat, présen tent l’inconvénient de nécessiter un approvisionnement en « consommables » (yeux artificiels) adaptés aux différentes situations. Mais ils offrent la possibilité d’apprentissage des sutures et des dissections de tissus qui ne sont pas possibles avec le simulateur en réalité virtuelle mais qui n’ont pour l’instant pas fait l’objet d’évaluations scientifiques, tout du moins disponibles dans la littérature.
Intérêt du simulateur en réalité virtuelle dans la chirurgie de la cataracte
Le module cataracte du simulateur Eyesi permet donc de travailler sur chaque temps opératoire, de pouvoir répéter chaque geste avec des paramètres de surveillance de la progression, de programmer des formations structurées avec des niveaux de difficultés croissants et d’apprendre à gérer les principales complications per opératoires.
De nombreuses études ont validé son efficacité en réalité virtuelle sur l’apprentissage de la chirurgie de la cataracte [1]. Les premières publications, datant de 2015-2016, ont d’abord montré une bonne corrélation entre les performances sur simulateur et celles en vie réelle [2]. Des études rigoureuses sur des chirurgiens de niveaux différents ont ensuite montré que les performances au bloc opératoire (temps opératoire, habileté manuelle évaluée sur des analyses vidéo) étaient améliorées par des programmes d’entraînement structurés pour les chirurgiens débutants [3]. Plus récemment, le Collège royal d’ophtalmologie du Royaume-Uni rapportait une diminution de près de 40% du taux de rupture capsulaire chez les internes en deuxième et en troisième année qui avaient bénéficié d’une formation sur simulateur Eyesi par rapport à ceux qui n’en avaient pas bénéficié [4]. Enfin, l’apprentissage sur simulateur réduit le stress des jeunes chirurgiens, améliore leur confiance en eux et diminue certaines barrières psychologiques qui peuvent poser problème en début de cursus [5].
Intérêt du simulateur en réalité virtuelle dans la chirurgie vitréo-rétinienne
En raison de sa disponibilité plus récente et de sa moindre diffusion, l’impact du simulateur Eyesi 3D en réalité virtuelle sur les performances est pour l’instant beaucoup moins évalué. Il est toutefois attesté que les épreuves notées sur le simulateur sont capables de discriminer un chirurgien débutant d’un chirurgien expérimenté [1]. En outre, des programmes structurés de formation ont fait leurs preuves pour améliorer les performances « virtuelles » des chirurgiens [6]. L’impact du simulateur de chirurgie vitréo-rétinienne sur les performances au bloc opératoire est en cours d’évaluation.
Quelle place pour la simulation dans la formation en France ?
Une fois qu’on a saisi la qualité et les possibilités offertes par les outils de simulation dont nous disposons, on comprend que leur place est désormais indispensable dans la formation des chirurgiens ophtalmologistes. Une comparaison vient spontanément à l’esprit : de la même manière qu’on n’envisagerait pas un seul instant de confier un avion à un pilote qui n’aurait pas fait ses preuves sur un simulateur de vol, on ne concevra peut-être plus de laisser un interne opérer sans qu’il ait passé une épreuve qualificative sur simulateur. Ce « permis d’opérer » – non contraignant pour l’instant –, dont les modalités commencent à être bien définies en matière de chirurgie de la cataracte sur le simulateur en réalité virtuelle, est déjà en place en Île-de-France pour les internes en phase socle. Ceux-ci bénéficient lors de la première année des cours de DES de sessions de formation en petits groupes encadrés par un senior, avec un examen vali dant en fin d’année. En deuxième année de DES, ils suivent des sessions de perfectionnement sur le simulateur de chirurgie de la cataracte, puis une formation à la chirurgie vitréo-rétinienne en troisième année. Des discussions sont en cours au Collège des ophtalmologistes universitaires de France (COUF) pour que ce « permis d’opérer » la cataracte soit déployé et uniformisé sur l’ensemble du territoire. De nombreux CHU partout en France sont d’ailleurs très impliqués dans cette formation et disposent d’un simulateur Eyesi et/ou d’autres outils de simulation chirurgicale. Au-delà de la formation initiale des internes, on imagine facilement l’application de la simulation à la formation continue, pour le perfectionnement ou l’acquisition de nouvelles compétences chirurgicales.
Conclusion
La simulation chirurgicale en réalité virtuelle est devenue incontournable pour la formation des internes en ophtalmologie. Son intérêt majeur est démontré pour améliorer les performances et la sécurité de la chirurgie de la cataracte et il le sera sans doute très prochainement dans le domaine de la chirurgie vitréo-rétinienne. La simulation chirurgicale constitue également une excellente opportunité pour la formation continue et l’acquisition de nouvelles compétences pour les chirurgiens plus aguerris.
Références bibliographiques
[1] Lee R, Raison N, Lau WY et al. A systematic review of simulation-based training tools for technical and non-technical skills in ophthalmology. Eye (Lond). 2020;34(10):1737-59.
[2] Thomsen AS, Smith P, Subhi Y et al. High correlation between performance on a virtual-reality simulator and real-life cataract surgery. Acta Ophthalmol. 2017;95(3):307-11.
[3] Thomsen AS, Bach-Holm D, Kjærbo H et al. Operating room performance improves after proficiency-based virtual reality cataract surgery training. Ophthalmology. 2017;124(4):524-31.
[4] Ferris JD, Donachie PH, Johnston RL et al Royal College of Ophthalmologists’ National Ophthalmology database study of cataract surgery: report 6. The impact of EyeSi virtual reality training on complications rates of cataract surgery performed by first and second year trainees. Br J Ophthalmol. 2020;104(3):324-9.
[5] Ng DS, Sun Z, Young AL et al. Impact of virtual reality simulation on learning barriers of phacoemulsification perceived by residents. Clin Ophthalmol. 2018;12:885-93.
[6] Jaud C, Salleron J, Cisse C et al. EyeSi Surgical Simulator: validation of a proficiency-based test for assessment of vitreoretinal surgical skills. Acta Ophthalmol. 2020; doi: 10.1111/aos.14628.