Interface patient-soignant augmentée : des outils à mettre en place

La pratique de l’ophtalmologie se modernise rapidement et implique une entrée plus ou moins rapide dans l’ère numérique. Il est désormais possible d’étendre facilement les interactions patients-soignants en amont et en aval de la consultation, et d’optimiser le temps de passage en présentiel ainsi que le temps utile avec le médecin. Une multitude de solutions d’interfaces virtuelles patients-soignants « augmentées » sont à présent en cours de développement. L’objectif de ce bref article est de mettre en perspective les briques technologiques disponibles pour construire et accueillir ce nouveau type d’environnement.

Outils élémentaires

Prise de rendez-vous intelligente
La prise de rendez-vous intelligente a été popularisée par l’apparition des opérateurs de prise de rendez-vous en ligne qui tentent de remplacer à la fois l’annuaire téléphonique et la demande de rendez-vous directe. Le plus célèbre est Doctolib, dont le large succès auprès du grand public éclaire également à présent sur ses faiblesses. En effet, ce service inverse le processus naturel où l’on choisit le nom d’un médecin, souvent par recommandation, pour lui demander un rendez-vous. Ici, c’est le serveur qui vous trouve un médecin selon certains critères qui, en pratique, n’incluent pas la réputation ni l’expertise mais simplement le délai de disponibilité le plus court pour un rendez-vous. Ce système a le mérite de remplir rapidement les plages de consultation mais induit une grosse perte de pertinence des motifs de consultation et asservit les médecins au système. Des alternatives plus adaptées sont en cours de développement, comme Alaxione, qui opère en « marque blanche » et propose un tri intelligent des patients beaucoup plus pertinent. Le but de cet outil est avant tout d’optimiser le flux des patients et les ressources en secrétariat. Cette brique est sans doute la plus importante car tout commence par la prise de rendez-vous et une mauvaise orientation des patients induit une double déception dans nos consultations de plus en plus surspécialisées et thématiques.

Dossier médical métier
Ce dossier s’impose depuis plus de 15 ans comme indispensable pour organiser les consultations à haut débit. L’archivage est fluide, la connectivité avec les examens biométriques et l’imagerie sont de plus en plus pertinentes, bien que souvent limitées aux machines des unités de réfraction et dépendantes de l’interface avec des viewers ou des serveurs pour le reste de l’imagerie. La possibilité de faire des requêtes dans le logiciel est un avantage décisif pour colliger des données, réaliser des études cliniques, évaluer sa pratique. Il permet aussi d’assurer la facturation, les courriers, les rendez-vous, les prescriptions, le flux en temps réel des patients dans la salle d’attente. Il est le plus souvent compatible avec les logiciels de rendez-vous institutionnels des hôpitaux assurant la liaison avec les activités de bloc opératoire ou d’hospitalisation, mais aussi administratives. Les normes de sécurisation et de cryptages des données sont assurées.

Bornes d’accueil automatisées
Certains logiciels métiers sont capables de s’interfacer avec des bornes d’accueil automatisées et d’extraire les données administratives et la photo des patients. Ces bornes gèrent les mises à jour des cartes vitales et les droits des patients, et assurent en autonomie la ventilation des patients dans les salles d’attente. Elles peuvent donner des consignes sur les accompagnants, le parcours patient, ce qui est particulièrement utile par temps de pandémie. Certaines start-ups développent des bornes plus spécifiques capables de délivrer un rapport aidant au tri intelligent et autonome des patients. L’exemple le plus ambitieux est celui de Mikajaki, qui développe une borne de tri intelligente robotisée capable de réaliser 100 points de mesures biométriques et réfractives en toute autonomie et en seulement 6 minutes. Un rapport est délivré pour recommander un parcours de soins pertinent (figure 1).

Imagerie connectée
Le plateau technologique associé à la pratique de l’ophtalmologie est à ce jour conséquent. Il commence le plus souvent par le module de réfraction puis se poursuit, en fonction du type de consultation, par un module d’imagerie. L’importance de l’image pousse à la gestion de quantités très importantes de données qu’il faut stocker et sécuriser. Le langage entre les différents logiciels (administratifs, de rendez-vous, de consultation, d’imagerie) doit rester compatible et surtout très fluide. L’imagerie doit aussi permettre la gestion en multisites et éventuellement l’injection de données dans les blocs opératoires, vers des lasers ou des microscopes (réalité augmentée des microscopes 3D). Ce n’est malheureusement pas toujours le cas et le choix de la compatibilité des investissements doit être souligné. La solution Forum, de Zeiss, est certainement une des plus répandues.

E-profilages patients
La détention d’un smartphone par près de 90% de la population rend réaliste la création d’un profil patient sécurisé rattaché à la prise en charge de chaque patient dans les pays développés. Certaines sociétés, comme la start-up Papez, commencent à exploiter cette option en proposant des e-questionnaires, des consentements en ligne, des outils de profilage des patients, des salles d’attente connectées (figure 2). Il existe potentiellement un gain important d’efficacité et de pertinence pour la prise en charge. C’est également une porte d’entrée intéressante pour l’éducation thérapeutique et la recherche clinique.

Modules d’éducation thérapeutique
Trop peu développé, l’éveil à la prise en charge et à l’éducation thérapeutique des patients trouve un nouveau souffle dans le mode numérique. Des pushs d’informations pour la prise en charge et le suivi des patients est possible. Le temps passé en salle d’attente peut être mis à bon usage avec des logiciels d’animation thématiques, tel Captiv8 (distribué par click4patients/Optimed) qui ­propose des solutions personnalisables en fonction de la thématique de consultation en cours (figure 3). L’évaluation de l’observance et de la tolérance des traitements est possible à distance avec des algorithmes non consommateurs de temps médical. Des stratégies d’évaluation de l’acuité sont d’ores et déjà proposées grâce au smartphone ou à des applications Internet. L’intégration de ­l’intelligence artificielle (IA) permet de prévoir des alertes personnalisées et un meilleur encadrement des pathologies chroniques.

Bases de données
Les informations de santé sont un enjeu majeur à l’échelle des populations mais aussi au niveau d’une clientèle. L’évaluation de l’épidémiologie de ses patients, de la satisfaction accordée, des résultats obtenus sont des éléments vertueux pour améliorer sa pratique et valoriser sa notoriété. De nombreuses bases sécurisées sont labellisées, écartant le spectre de la manipulation des data à grande échelle.

Téléconsultation
La téléconsultation a émergé pour faire face à la pénurie d’ophtalmologistes dans les zones rurales et a été amplifiée lors de la crise sanitaire de la Covid. Cependant, hormis le recours à des consultations dégradées tenues par des orthoptistes isolés, la téléconsultation en ophtal mologie reste anecdotique. Il y a certainement de la place pour le développement du télécoaching pour contrôler la tolérance et l’observance des patients, compléter leur éducation, rationaliser le flux des consultations. Reste à définir qui sera délégué pour assurer ce type de prestations et comment les valoriser financièrement.

Intelligence artificielle : vers l’assistant de santé personnalisé
Enfin, on le voit bien dans tous les domaines de la société, l’IA fait une percée irréversible. L’humain sera bientôt augmenté de plusieurs applications plus ou moins puissantes fondées sur le concept de l’IA. Il ne faut pas en avoir peur mais apprendre à comprendre les limites qu’il faudra poser pour garder notre libre arbitre. Rapide ment l’IA nous proposera des rendez-vous en phase avec nos compétences, nous aidera à définir des risques de développer telle ou telle complication ou maladie, des scores pronostiques, de sévérité. L’humain devra néanmoins veiller à rester le gestionnaire de la prise de décision.

Conclusion

La transfiguration de notre environnement de travail dans l’univers numérique est inévitable en ophtalmologie. Les outils d’assistance au parcours de soins vont progressivement s’amplifier et s’articuler. L’usage des outils d’IA sera crucial pour cette transition. Le temps médical trouvera un catalyseur d’efficacité dans l’usage des briques technologiques mentionnées dans ce bref article de vulgarisation. Notre exercice professionnel devrait devenir plus pertinent dans les nouveaux champs d’interactions soignants-patients augmentés. Les avantages attendus sont certainement largement supérieurs aux limitations actuelles, il faut donc travailler et investir (tableau). Entre nos mains est le pouvoir d’anticiper les besoins et de favoriser les mutations nécessaires.

Auteurs

  • David Touboul

    Ophtalmologiste

    Centre national de référence pour le kératocône, CHU de Bordeaux, hôpital Pellegrin, Bordeaux

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