Kératite herpétique résistante : gestion et recommandations
Une patiente de 54 ans consulte en urgence pour rougeur et douleur de l’œil gauche. Cette patiente avait bénéficié de 2 kératoplasties transfixiantes de cet œil : la première 30 ans auparavant pour une taie de cornée herpétique, et la deuxième datant de 3 ans pour une kératopathie lipidique à la suite d’une récidive de kératite herpétique malgré le traitement préventif par valaciclovir (figure 1).
Observation
Aux urgences ophtalmologiques, l’examen à la lampe à fente de l’œil gauche retrouve une hyperhémie conjonctivale et un œdème du greffon sans signe de rejet, et l’examen en lumière bleue après instillation de fluorescéine un ulcère central géographique atteignant l’anneau receveur avec, en bordure, un épithélium gonflé (effet cytopathogène) (figure 2).
Devant l’aspect évocateur de kératite à herpès simplex virus (HSV) et les multiples récidives malgré un traitement préventif par valaciclovir et l’antécédent de souche herpétique résistante, un nouveau prélévement cornéen par écouvillon est réalisé pour analyse virologique et recherche de mutations génétiques virales. En attendant les résultats, un traitement intraveineux est instauré en milieu hospitalier par Foscavir® (80 mg/kg/j), connu pour être efficace sur la plupart des souches d’herpès résistantes. Une surveillance renforcée de la fonction rénale est mise en place. Quatre jours plus tard, la patiente retourne à domicile devant la réduction de l’ulcère. Le résultat revient positif pour HSV1 en PCR et les analyses génotypiques identifieront de nouveau une souche résistante aux antiviraux par mutation de la thymidine kinase virale.
Quelques jours plus tard, la patiente revient aux urgences ophtalmologiques pour apparition brutale d’une tache blanche et d’une rougeur oculaire à l’œil gauche. L’examen en lampe à fente retrouve des infiltrats stromaux antérieurs multiples avec aspect de boîte de Pétri pouvant faire suspecter une infection mycotique. Trois jours plus tard, devant la densification de l’infiltrat stromal antérieur et de la proximité avec l’anneau receveur, des prélèvements et un cross linking accéléré sont réalisés, ainsi que des injections intrastromales d’amphotéricine B et de voriconazole, permettant la stabilisation de l’infection. Un traitement horaire par collyres antibiotiques fortifiés est instauré en hospitalisation, avec l’ajout d’une trithérapie antifongique devant l’aspect en faveur d’une infection mycotique. La persistance d’une surface très inflammatoire sans possibilité de corticothérapie locale et la nécrose débutante touchant l’anneau receveur conduisent à la réalisation d’une troisième kératoplastie transfixiante de décharge infectieuse encadrée par 24 heures préopératoires et 5 à 7 jours postopératoires de foscarnet (Foscavir® 80 mg/kg/j). La patiente développant une insuffisance rénale aiguë à 48 heures (effet indésirable fréquent), un relais précoce par aménamévir (Aménalief®) 200 mg en ATU, un comprimé matin et soir, est réalisé. Les suites opératoires sont simples, avec une bonne cicatrisation du greffon (figure 3).
Nous décidons de poursuivre la prophylaxie antiherpétique par aménamévir à ce dosage pendant 6 mois, puis nous passerons à 1 comprimé par jour au long cours. La tolérance sur de longues durées de ce nouveau traitement n’étant pas connue, une surveillance hépatique, rénale et de la NFS tous les 2 mois est nécessaire.
Discussion
Les résistances d’HSV aux antiviraux sont dues, dans 95% des cas, à une mutation du gène UL23 codant pour l’activation de la thymidine kinase. Pour inhiber la synthèse d’ADN, l’aciclovir doit être activé par phosphorylation intracellulaire en aciclovir triphosphate. La transformation en aciclovir monophosphate se fait grâce à la thymidine kinase virale. L’inactivation de la thymidine kinase virale conduit donc à la moindre efficacité de l’aciclovir et de l’ensemble des antiviraux thymidine kinase-dépendants (valaciclovir, ganciclovir…). Devant cette souche mutante, les traitements avec un mécanisme d’action indépendant de la thymidine kinase sont alors recommandés ; il s’agit du foscarnet par voie intraveineuse (surveillance rénale renforcée), de l’aménamévir par voie orale (ATU, inhibiteur de l’hélicase virale) et de la trifluridine en traitement local (toxicité épithéliale importante).
Il existe peu d’études sur la prise en charge de l’herpès résistant. Une des conduites à tenir pour encadrer une greffe sur ce terrain pourrait être la suivante :
- foscarnet (Foscavir® 80 mg/kg/j) 24 heures préopératoires et 5 à 7 jours postopératoires avec surveillance de la fonction rénale (insuffisance rénale aiguë), ionogramme (troubles électrolytiques), bilan hépatique (perturbation) et NFS (anémie, thrombocytopénie) toutes les 48 heures ;
- puis relais par aménamévir (Aménalief®) 200 mg en ATU, un comprimé matin et soir pendant 6 mois puis un comprimé au long cours. La bonne tolérance de ce nouveau traitement sur 7 jours a été prouvée mais celle-ci est non connue sur de longues durées. Une surveillance hépatique, rénale et de la NFS tous les 2 mois est donc nécessaire.
Conclusion
Les kératites herpétiques dues à des virus résistants aux antiviraux thymidine kinase-dépendants sont en augmentation, la prophylaxie virale en est un facteur de risque majeur. Il est indispensable, chez les patients avec une longue histoire de maladie herpétique, devant une kératite herpétique ne répondant pas à un traitement antiviral de première intention ou devant des récidives sous traitement prophylactique bien conduit de rechercher une souche résistante par prélèvement ; la surinfection ou co-infection n’est pas rare sur les yeux neurotrophiques et traités par immunosuppresseurs locaux.
Pour en savoir plus
Rousseau A, Boutolleau D, Titier K et al. Recurrent herpetic keratitis despite antiviral prophylaxis: A virological and pharmacological study. Antiviral Res. 2017;146:205-12.
Rousseau A, Burrel S, Gueudry J et al. Acyclovir-resistant herpes simplex virus 1 keratitis: A concerning and emerging clinical challenge. Am J Ophthalmol. 2022;238:110-9.
Kawashima M, Nemoto O, Honda M et al. Amenamevir, a novel helicase-primase inhibitor, for treatment of herpes zoster: A randomized, double-blind, valaciclovir-controlled phase 3 study. J Dermatol. 2017; 44(11):1219-27.
Kusawake T, Keirns JJ, Kowalski D et al. Pharmacokinetics and safety of amenamevir in healthy subjects: Analysis of four randomized phase 1 studies. Adv Ther. 2017;34(12):2625-37.