La trabéculoplastie sélective en pratique

Avec près de 50 000 procédures réalisées en France en 2020, la trabéculoplastie sélective laser, encore appelée laser SLT (Selective Laser Trabeculoplasty) représente un acte technique médical thérapeutique de première ligne dans la prise en charge du patient glaucomateux (données Assurance maladie).

Mécanisme d’action Développé en 1995 par Latina et Park, le laser SLT appartient à la classe des lasers Nd-YAG, avec une durée d’impulsion de 3 nanosecondes et une longueur d’onde de 532 nm. La taille du spot est unique, calibrée à 400 µm, soit plus de 2 fois celle du trabéculum traité. 

Le gain pressionnel est obtenu par augmentation de l’évacuation trabéculaire de l’humeur aqueuse. À l’inverse de la TRLA, qui « perce » le trabéculum de petits orifices (50 µm) par effet thermique de coagulation, le laser SLT est à l’origine d’un remodelage de la matrice extracellulaire trabéculaire, rendant cette dernière plus perméable au passage de l’humeur aqueuse (figure 1). Les lésions tissulaires trabéculaires sont donc moindres qu’avec la TRLA, et les effets indésirables réduits.

De façon très simplifiée, le laser est attiré de façon très ciblée par les cellules pigmentées trabéculaires – ce qui explique que plus le trabéculum est pâle, moins le traitement est efficace.
La destruction physique (nécrose de coagulation) de ces cellules est à l’origine d’une cascade de réactions :
- biochimiques essentiellement : la libération de cytokines (notamment IL1-α et β, IL6 et TNFα) est entre autres à l’origine d’un désassemblage des jonctions serrées (zonula occludens de type 1) du mur interne du canal de Schlemm, facilitant le passage de l’humeur aqueuse ; de même, la libération de métalloprotéinases par les trabéculocytes également dirigées contre la matrice extracellulaire entraîne une augmentation du flux d’humeur aqueuse à travers la matrice extracellulaire ;
- cellulaires : une réaction macrophagique par phagocytose autorise un « nettoyage » de la matrice extracellulaire trabéculaire [1].
Les effets thermiques collatéraux – notamment vis-à-vis du collagène trabéculaire – étant très réduits, le risque de fibrose tissulaire et d’échec à long terme est réduit.
Avec le temps, « l’encrassement » trabéculaire se recompose et on constate une perte d’efficacité de 10% par an ; en pratique les retraitements sont fréquents au bout de 3 à 5 ans.
L’avantage de cette technique repose sur sa très faible iatrogénicité tant sur le plan anatomique – absence de synéchies angulaires iatrogènes comme cela peut être le cas après une TRLA –, que sur le plan biochimique – faible réaction inflammatoire –, et le traitement peut donc être répété sans limite dans le temps [2]. Les retraitements sont considérés comme moins efficaces que le traitement initial.
Le laser SLT est efficace dans 80 à 85% des cas et autorise une baisse pressionnelle approximativement équivalente à celle d’une monothérapie, soit environ 20 à 25% de baisse pressionnelle (6 à 9 mmHg) [3]. Cette dernière est atteinte environ 1 mois après la seconde séance de laser.

Indications du laser SLT

Le laser SLT est indiqué dans le cas d’une hypertonie oculaire (HTO) ou d’un glaucome, tous deux à angle ouvert. En effet, sa réalisation n’est possible que si le trabéculum est visible en gonioscopie (figure 2). Le glaucome peut être primitif ou secondaire, mais il sera débutant à modéré et non ou faiblement évolutif [3].

Il peut être proposé en association avec le traitement local dans un but de réduction pressionnelle supplémentaire lorsque la progression des déficits est faible et ne nécessite pas encore de chirurgie – par exemple à un patient sous bithérapie qui présente une dégradation lente sans risque de handicap, on propose bithérapie + laser SLT –, ou encore dans un but d’une épargne thérapeutique lorsque la tolérance aux traitements est médiocre – par exemple blépharite et/ou syndrome sec pour un patient sous trithérapie, il est possible de réduire le traitement à une bithérapie + laser SLT.
Le laser SLT peut également se substituer à un traitement local lorsque l’abaissement pressionnel cible n’excède pas 30%. Il peut alors répondre à des impératifs d’observance imparfaite – exemple : jeunes actifs, personnes âgées dépendantes – ou une fois encore à des problèmes de tolérance locale et/ou générale aux traitements locaux – exemple : initiation d’un traitement chez un patient asthmatique avec iris bichrome. Les données récentes de la littérature et des recommandations de bonne pratique suggèrent que la trabéculoplastie sélective peut être proposée en première intention en remplacement d’un traitement local [2,3].
De façon plus anecdotique, il peut être réalisé :
- dans le cas d’un glaucome mixte – par exemple, un glaucome primitif par fermeture de l’angle dont la pression intraoculaire (PIO) cible n’est pas atteinte bien que le trabéculum soit rendu visible après la réalisation d’une iridotomie ou l’extraction du cristallin ;
- pour des glaucomes réfractaires lorsque la chirurgie filtrante n’est plus réalisable et lorsque les procédures de cyclo-affaiblissement sont inefficaces.

Mauvaises indications, contre-indications et précautions d’emploi

Le laser SLT ne peut être réalisé lorsque le trabéculum n’est pas visible en gonioscopie (fermeture de l’angle primitive, ou secondaire comme l’iris plateau, les synéchies néovasculaires, inflammatoires, etc.).
Il est contre-indiqué dans le cas d’une inflammation oculaire active (uvéite non contrôlée).
Il peut être à l’origine d’une importante élévation pressionnelle devant une forte pigmentation trabéculaire (syndrome de dispersion pigmentaire) [4] et l’efficacité de cette procédure n’est pas clairement établie dans cette indication, de même qu’en présence de glaucomes très avancés [3]. Il ne sera pas non plus prescrit en cas de non-contrôle pressionnel.
Paradoxalement, le laser SLT est très utile lorsque la surface oculaire est très pathologique et rend l’utilisation des traitements locaux difficile, mais attention aux collyres AINS postopératoires dans cette indication précise car ils entraînent parfois des perforations cornéennes.
L’efficacité attendue de ce traitement est moindre dans les cas de trabéculodysgénésies et de glaucomes traumatiques.
Enfin, face à un glaucome rapidement progressif ou lorsque l’abaissement pressionnel cible dépasse 20%, la réalisation d’un laser SLT ne doit en aucun cas retarder celle d’une procédure chirurgicale.

Comment réaliser ce traitement

La réalisation de ce laser est aisée. Elle se pratique en ambulatoire sous anesthésie topique, à l’aide d’un verre à gonioscopie indirecte de type verre de Latina. Un AINS ou un corticoïde local et de l’apraclonidine 0,5 sont instillés une heure avant le geste. L’utilisation préalable d’un collyre myotique (isoptopilocarpine) est réservée aux cas de visibilité trabéculaire réduite (fermeture relative de l’angle). On réalise en moyenne 100 à 150 impacts de laser non confluents répartis sur 2 séances – parfois 3 lorsque le trabéculum est davantage pigmenté, ou au contraire en 1 seule séance lorsque ce dernier est très pâle – (figure 3). La taille du spot est invariable : 400 µm – 376 si on utilise un verre à 3 miroirs de Goldmann et 268 avec un verre CGA d’Haag Streit –, et la puissance est initialement réglée à 0,8 ± 0,4 mJ selon le degré de pigmentation de l’angle [3]. La visée de couleur rouge est positionnée sur le trabéculum pigmenté (figure 3).

Lorsque la bulle de vaporisation est atteinte, il ne faut pas augmenter la puissance de l’énergie délivrée mais au contraire, pour certains, la réduire. Elle atteindra au maximum 2 mJ lorsque le trabéculum est très pâle. Après la procédure laser, un AINS ou un corticoïde local et de l’apraclonidine 0,5 sont instillés à raison de 3 fois par jour, pendant 7 et 3 jours respectivement [5]. Un contrôle de la PIO doit être réalisé dans les 24 heures ou après 1 heure pour les patients à risque.
L’évaluation de l’efficacité du traitement a lieu 4 à 9 semaines après sa réalisation [3,6].

Que retenir ?
• Le laser SLT est un traitement de première ou de seconde intention dans les cas d’HTO et de glaucome à angle ouvert.
• Indications : adhérence au traitement difficile, remplacement d’une monothérapie lorsque celle-ci est mal tolérée, association aux traitements locaux lorsque ceux-ci ne permettent pas d’atteindre à eux seuls la PIO cible.
• Très faible iatrogénicité, le traitement peut être proposé en première intention.
• Abaissement pressionnel équivalent à celui d’une monothérapie.
• Efficacité clinique de 5 ans (-10% d’efficacité par an) : les retraitements sont possibles.
• Mauvaises indications : fermeture de l’angle (gonioscopie inférieure au grade 2 de Shaffer), glaucomes pigmentaires (forts pics pressionnels parfois non résolutifs), glaucomes avancés ?
• Contre-indications : inflammation active.
• La réalisation d’un laser SLT ne doit pas retarder la chirurgie lorsque cette dernière est requise. 

Références bibliographiques
[1] Kagan DB, Gorfinkel NS, Hutnik CM. Mechanisms of selective laser trabeculoplasty: a review. Clin Exp Ophthalmol. 2014;42(7):675-81.
[2] Gazzard G, Konstantakopoulou E, Garway-Heath D et al. Selective laser trabeculoplasty versus eye drops for first-line treatment of ocular hypertension and glaucoma (LiGHT): a multicentre randomised controlled trial. Lancet. 2019;393(10180):1505-16.
[3] European Glaucoma Society. Terminology and guidelines for glaucoma. Treatments principles and options. 5th edition. Savona (Italy):PubliComm;2020.
[4] Harasymowycz PJ, Papamatheakis DG, Latina M et al. Selective laser trabeculoplasty (SLT) complicated by intraocular pressure elevation in eyes with heavily pigmented trabecular meshworks. Am J Ophthalmol. 2005;139(6):1110-3.
[5] Zhang L, Weizer JS, Musch DC. Perioperative medications for preventing temporarily increased intraocular pressure after laser trabeculoplasty. Cochrane Database Syst Rev. 2017;2(2):CD010746.
[6] Haute Autorité de santé. Diagnostic et prise en charge de l’hypertonie oculaire et du glaucome primitif à angle ouvert. 2021.
[7] Kramer TR, Noecker RJ. Comparison of the morphologic changes after selective laser trabeculoplasty and argon laser trabeculoplasty in human eye bank eyes. Ophthalmology. 2001;108(4):773-9.
Pour en savoir plus
Garg A, Gazzard G. Selective laser trabeculoplasty: past, present, and future. Eye (Lond). 2018; 32(5):863-76.

Auteurs

  • Muriel Poli

    Ophtalmologiste

    Centre ophtalmologique Pôle Vision Val d’Ouest, Ecully ; Centre hospitalier universitaire Lyon-Sud, Pierre Bénite

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