Le glaucome du myope

Le diagnostic certain d’une neuropathie optique glaucomateuse chez un myope fort s’appuie sur des éléments multifactoriels reposant sur une analyse conjointe fonctionnelle et structurelle. L’aspect trompeur de l’atteinte du champ visuel et de l’OCT rendent le suivi particulièrement subtil. Comme chez le glaucome primitif à angle ouvert du non-myope, le traitement repose sur l’abaissement de la pression intraoculaire cible mais parfois de manière plus drastique, et ce en fonction de la présence d’autres facteurs de risque de progression et du degré de l’atteinte initiale.

L’association entre hypertonie oculaire (HTO), glaucome primitif à angle ouvert (GPAO) et myopie forte est largement controversée dans la littérature. Alors que l’étude de cohorte Ocular Hypertension Treatment Study (OHTS) n’a pas prouvé que la myopie était un facteur de risque de conversion de l’HTO vers un GPAO [1], la Blue Mountains Eye Study a mis en évidence le fait que la myopie augmentait de 2 à 3 fois le risque de GPAO [2]. Par ailleurs, le risque de glaucome augmente avec le degré de la myopie : la prévalence est de 6% pour les myopies inférieures à -3 D, de 11% pour celles supérieures à -6 D, et passe à 28% lorsque la longueur axiale dépasse 29 mm [3]. D’autre part, la prévalence du glaucome à pression normale (GPN) s’élève à 30% chez le myope fort, rendant le chiffre de la pression intraoculaire (PIO) en soi parfois non conclusif, d’autant plus que cette mesure est souvent sous-estimée en raison de la rigidité sclérale modifiée et de la présence d’une pachymétrie fine faisant suite aux antécédents possibles de chirurgie réfractive [4]. 

Comment diagnostiquer et suivre le glaucome du myope fort ?

L’aspect trompeur de la papille optique (figure 1) et les altérations structurelles du segment postérieur retrouvés chez les myopes forts rendent le diagnostic et le suivi de glaucome particulièrement difficiles. Ce diagnostic repose principalement sur un faisceau d’arguments d’analyse fonctionnelle et structurelle, dont le caractère évolutif représente un argument fort en faveur de l’existence concomitante d’une neuropathie optique glaucomateuse.

Analyse fonctionnelle par champ visuel
Le champ visuel blanc/blanc qui évalue la sensibilité rétinienne au contraste reste un élément clé du diagnostic et de la surveillance. Il faudra rechercher les modèles de déficit fasciculaire spécifiques du glaucome (ou « glaucome-like ») tels qu’un scotome paracentral, un ressaut nasal ou encore un scotome arciforme de Bjerrum (figure 2). Cependant, les modifications du fond d’œil liées à la myopie forte peuvent entraîner des déficits du champ visuel, mimant une neuropathie optique glaucomateuse. On rappelle à cet égard un élargissement de la tache aveugle pouvant être due à une atrophie péripapillaire, une diminution diffuse de la sensibilité rétinienne qui pourrait accompagner une forte myopie, ou encore un cluster de scotomes absolus jouxtant le point de fixation central mais qui serait dû à un stress mécanique sur le pôle postérieur, ou à la présence d’un large staphylome maculaire myopique [5]. Dans ces cas, la mise en évidence d’une progression fiable et reproductible à l’aide de logiciels spécifiques de l’analyse de la progression glaucomateuse comme le « guided-progression analysis (GPA) » permettrait de confirmer (ou pas) une progression et aiderait à la décision pour la prise en charge [6].

Analyse structurelle par tomographie à cohérence optique (OCT)
Les modifications importantes des propriétés biomécaniques des parois tissulaires oculaires ainsi que la fréquence importante de papilles dysmorphiques et d’anomalies de la lame criblée chez les myopes forts rendent également l’analyse structurelle particulièrement subtile. Ainsi, l’analyse de l’épaisseur péripapillaire de la couche des fibres nerveuses rétiniennes peut être faussée par la présence d’une atrophie choriorétinienne péripapillaire et d’autres anomalies de forme, de taille et d’orientation de la papille optique (figure 3) [7]. Par ailleurs, l’analyse conjointe du complexe cellulaire ganglionnaire peut également être associée à des faux positifs dus à la présence d’une élongation anormale du globe oculaire, d’une maculopathie myopique, d’anomalies de l’interface vitréo-rétinienne, de staphylomes myopiques maculaires ou encore d’autres atrophies choriorétiniennes du pôle postérieur. Là encore, la recherche des erreurs d’algorithmes générées par des altérations structurelles du myope fort comme la perte de signal et le défaut de segmentation est particulièrement intéressante dans la confirmation diagnostique, et le caractère évolutif dans l’analyse de tendance orienterait vers une neuropathie optique glaucomateuse, même en présence d’une myopie évolutive [8].

Comment traiter le glaucome du myope fort ?

Une évaluation individuelle de chaque patient doit être faite afin d’établir un schéma thérapeutique et un rythme de surveillance adéquats. Il est prudent de considérer une PIO cible plus basse que celle de la population non myope présentant un GPAO et qui est de l’ordre de 16 mmHg. Cette PIO cible est d’autant plus basse que le nombre de facteurs de risque de progression est plus élevé – notamment un syndrome de dispersion pigmentaire plus fréquent chez les myopes, une pachymétrie fine, l’âge jeune, la présence d’antécédents familiaux de glaucomes, etc. Le traitement de première intention reste médical, notamment les analogues de prostaglandines. Les bêtabloquants, les inhibiteurs de l’anhydrase carbonique ainsi que les alpha(2)-agonistes peuvent également être prescrits [9]. Les myotiques sont quant à eux à proscrire en raison du risque élevé de déchirures rétiniennes périphériques et des limitations d’un examen détaillé de la périphérie rétinienne qu’ils présentent lors de leur utilisation. La trabéculoplastie sélective (SLT) peut être intéressante vu l’accès généralement facile au trabéculum chez les myopes forts, surtout si celui-ci est pigmenté comme dans les cas de dispersion pigmentaire. Finalement, la chirurgie filtrante (trabéculectomie ou sclérectomie profonde non perforante) est indiquée dans les cas de glaucome évolutif avec PIO cible élevée malgré un traitement médical, de menace du point de fixation, d’intolérance au traitement médical, voire de doute sur l’observance. Même si elle est difficile à réaliser en présence d’une sclère fine chez le myope fort, elle ne devrait pas être différée en raison du risque élevé de progression du glaucome [10]. Les valves de drainage (valves d’Ahmed, Molteno ou Baerveldt) peuvent être utilisées dans les glaucomes plus sévères ou en cas d’antécédents d’échec de plusieurs chirurgies filtrantes. Finalement, la cyclophotocoagulation au laser diode ou aux ultrasons sera réservée en présence de risques chirurgicaux majeurs, tel qu’un champ visuel agonique.

Références bibliographiques
[1] Gordon MO, Kass MA. What we have learned from the Ocular Hypertension Treatment Study. Am J Ophthalmol. 2018;189:24-7.
[2] Mitchell P, Hourihan F, Sandbach J, Wang JJ. The relationship between glaucoma and myopia: the Blue Mountains Eye Study. Ophthalmology. 1999;106(10):2010-5.
[3] Ha A, Kim CY, Shim SR et al. Degree of myopia and glaucoma risk: a dose-response meta-analysis. Am J Ophthalmol. 2022;236:107-19.
[4] Han JC, Han SH, Park DY et al. Clinical course and risk factors for visual field progression in normal-tension glaucoma with myopia without glaucoma medications. Am J Ophthalmol. 2020;209:77-87.
[5] Lin F, Chen S, Song Y et al. Classification of visual field abnormalities in highly myopic eyes without pathologic change. Ophthalmology. 2022;129(7):803-12.
[6] Yoshino T, Fukuchi T, Togano T et al. Rate of progression of total, upper, and lower visual field defects in patients with open-angle glaucoma and high myopia. Jpn J Ophthalmol. 2016;60(2):78-85.
[7] Ng DS, Cheung CY, Luk FO et al. Advances of optical coherence tomography in myopia and pathologic myopia. Eye (Lond). 2016;30(7): 901-16.
[8] Shin JW, Song MK, Sung KR. Longitudinal macular ganglion cell-inner plexiform layer measurements to detect glaucoma progression in high myopia. Am J Ophthalmol. 2021;223:9-20.
[9] Lin FB, Chen DS, Song YH et al. Effect of medically lowering intraocular pressure in glaucoma suspects with high myopia (GSHM study): study protocol for a randomized controlled trial. Trials. 2020;21(1):813.
[10] Tanaka D, Nakanishi H, Hangai M et al. Influence of high myopia on outcomes of trabeculectomy with mitomycin C in patients with primary open-angle glaucoma. Jpn J Ophthalmol. 2016;60(6):446-53.

Auteurs

  • Georges Azar

    Ophtalmologiste

    Hôpital Fondation Adolphe de Rothschild, Paris

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