Panorama des uvéites postérieures

Le groupe de travail dédié à la nomenclature des uvéites (SUN, Standardization of Uveitis Nomenclature) [1] définit le terme d’uvéite postérieure comme étant une inflammation dont le site primitif est rétinien ou choroïdien. Sont donc incluses les rétinites, les neurorétinites, les rétinochoroïdites, les choroïdites (focales, multifocales ou diffuses) et les choriorétinites dont les étiologies sont très variées. Elles peuvent s’intégrer dans une panuvéite, mais ce terme est réservé aux uvéites sans site prédominant d’inflammation. Nous nous attarderons sur les principales formes d’origine inflammatoire et développerons leur aspect clinique caractéristique retenu par la nomenclature internationale [2].
Le tableau I regroupe une liste non exhaustive des étiologies d’uvéites postérieures selon qu’elles soient infectieuses, inflammatoires ou limitées à l’œil (et présumées d’origine auto-immune). Cependant, il ne faut pas méconnaître les pseudo-uvéites tumorales (masquerade syndromes), iatrogènes et les formes idiopathiques.
Uvéites postérieures atteignant primitivement la rétine
Rétinochoroïdopathie de Birdshot
La rétinochoroïdopathie de Birdshot représente 0,6 à 1,5% des uvéites. Elle touche préférentiellement les patients caucasiens de 35 à 70 ans. Il s’agit d’une maladie à expression purement oculaire, bilatérale, dont la sémiologie clinique est typique et qui peut être confirmée par le phénotypage du HLA-A29. C’est l’atteinte rétinienne qui est responsable de la baisse progressive de l’acuité visuelle. Elle peut être plus marquée que l’atteinte choroïdienne ou inversement.
L’atteinte rétinienne est caractérisée par une vascularite périveineuse (fuite vasculaire en angiographie à la fluorescéine), un œdème maculaire cystoïde et un œdème papillaire. L’inflammation du vitré est modérée, l’œil est blanc et associé à une très faible inflammation de la chambre antérieure et ne comporte pas de synéchies postérieures ni de précipités rétrocornéens.
L’atteinte choroïdienne consiste en une choroïdite multifocale composée de lésions ovoïdes choroïdiennes de couleur crème, voire jaune-orangé, apparaissant hypofluorescentes en angiographie au vert d’indocyanine (ICG). Elles sont de disposition radiaire autour de la papille et prédominent dans le secteur nasal inférieur.
Maladie de Behçet
Son diagnostic est clinique et elle est caractérisée par l’apparition d’ulcères oraux et génitaux, d’une uvéite et de lésions cutanées ou d’un pathergy test positif.
L’uvéite est uni- ou bilatérale, classiquement antérieure et associée à un hypopion, mais elle peut également être postérieure isolée, voire entrer dans une panuvéite. Elle se manifeste sous la forme d’une vascularite rétinienne artérielle occlusive atteignant parfois la macula et donc potentiellement cécitante. C’est une cause fréquente d’uvéite postérieure sévère [3]. S’y associent des infiltrats rétiniens blanchâtres punctiformes et hémorragiques, voire un œdème papillaire. La présence d’une atteinte choroïdienne doit faire rechercher un autre diagnostic.
Uvéites postérieures atteignant primitivement la choriocapillaire
Syndrome des taches blanches évanescentes multiples
Également dénommé MEWDS (multiple evanescent white dot syndrome), il s’agit d’une entité purement ophtalmologique, unilatérale, prédominant chez la femme (90%) de 28 ans d’âge moyen, dont l’incidence est rare (0,22 cas/100 000 habitants/an) et l’étiologie inconnue. Les patientes se plaignent d’une baisse d’acuité visuelle soudaine associée à un scotome central, spontanément résolutif en 8 semaines en l’absence de traitement.
Il se caractérise au fond d’œil par un aspect granité rouge-orangé de la macula et de discrètes lésions rétiniennes blanchâtres, distribuées au pôle postérieur et autour de la papille, s’étendant jusqu’en moyenne périphérie. Elles sont hyperréflectives en OCT, s’étendant de l’épithélium pigmentaire à l’ellipsoïde, voire la couche nucléaire externe. Ces lésions n’apparaissent hypofluorescentes qu’au temps tardif de l’angiographie ICG, ce qui serait en faveur d’une atteinte primitive de l’épithélium pigmentaire rétinien (et non de la choriocapillaire), mais dont la dysfonction n’est que transitoire et réversible. L’angiographie à la fluorescéine laisse apparaître progressivement de multiples lésions discrètes hyperfluorescentes en couronne (tableau II).

Épithéliopathie en plaques
Également dénommée APMPPE (acute posterior multifocal placoid pigment epitheliopathy), il s’agit d’une maladie dont l’atteinte primitive serait une hypoperfusion de la choriocapillaire, responsable d’une souffrance de l’épithélium pigmentaire rétinien puis des photorécepteurs, avec rupture de la barrière hémato-rétinienne externe. Bilatérale, elle touche l’adulte jeune de 20 à 50 ans. Son incidence est rare (0,15 cas/100 000 habitants/an) et l’étiologie inconnue.
Au fond d’œil on constate de multiples lésions choriorétiniennes en plaques d’aspect blanc-jaunâtre, d’un demi-diamètre papillaire, cicatrisant en leur centre et laissant apparaître secondairement des remaniements pigmentaires cicatriciels (figure 1). On observe en angiographie à la fluorescéine une hypofluorescence précoce, ce qui suggère une hypoperfusion de la choriocapillaire, puis une diffusion tardive des lésions (tableau II). En angiographie ICG, les lésions sont également hypofluorescentes mais elles sont plus nombreuses, probablement en relation avec une atteinte infraclinique de l’épithélium pigmentaire. L’OCT est caractérisée par une interruption de l’ellipsoïde et une hyperréflectivité de la couche nucléaire externe. L’OCT-A dévoile également le déficit du flux dans la choriocapillaire sous-jacente (flow void), très bien corrélé aux lésions observées en angiographie.
Choroïdite multifocale avec panuvéite (CMF-PU)
Il s’agit d’une entité rare (0,03 cas/100 000 habitants/an) touchant la femme jeune et myope. Souvent bilatérale et asymétrique, elle se caractérise par des lésions inflammatoires choroïdiennes multiples situées en moyenne périphérie, voire au pôle postérieur, d’âges différents, impliquant la choriocapillaire puis l’épithélium pigmentaire rétinien.
Elles sont d’aspect blanc-jaunâtre en phase aiguë, rondes ou ovalaires et supérieures à 125 µm. Elles s’imprègnent progressivement en angiographie à la fluorescéine et sont modérément hyper-autofluorescentes (tableau II). S’y associe une discrète inflammation de la chambre antérieure et du vitré. Elles laissent apparaître secondairement une cicatrice choriorétinienne atrophique hyperpigmentée à l’emporte-pièce, hypo-autofluorescente et associée à un effet fenêtre dès les temps précoces de l’angiographie.
La principale complication est l’apparition d’un néovaisseau choroïdien qui devra être recherché via l’OCT-A.
Son étiologie est inconnue mais il faudra évoquer les diagnostics différentiels pouvant produire des lésions choroïdiennes multifocales : syphilis, tuberculose, sarcoïdose, choroïdite ponctuée interne et Birdshot rétinochoroïdopathie.
Choroïdite ponctuée interne (PIC)
Certains auteurs considèrent la PIC et la CMF-PU comme des variantes d’une même maladie en raison de leur similarité épidémiologique, clinique et physiopathologique (atteinte similaire de la choriocapillaire et de l’épithélium pigmentaire).
La PIC est une pathologie rare (0,04 cas/100 000 habitants/an) de la femme jeune et myope. Elle est souvent bilatérale, l’atteinte de l’œil adelphe pouvant apparaître après plusieurs années. Elle est caractérisée par l’apparition de lésions choroïdiennes inflammatoires punctiformes, parfois confluentes, jaune-blanc, de moins de 250 µm et principalement localisées au pôle postérieur. Il n’y a pas d’inflammation associée de la chambre antérieure ou du vitré (figure 2). Ses caractéristiques angiographiques et en autofluorescence sont similaires à celles de la CMF-PU (tableau II).
Le risque de néovascularisation choroïdienne est particulièrement important (75%) et doit être recherché.
Choroïdite serpigineuse
Cause rare d’uvéite postérieure (moins de 5%), la choroïdite serpigineuse se caractérise par une lésion choroïdienne inflammatoire monofocale, voire multifocale, uni- ou bilatérale, à point de départ papillaire qui, en l’absence de traitement, s’étend progressivement en prenant une forme sinueuse. Elle laisse place en quelques mois à une zone d’atrophie choriorétinienne marquée (figure 3). Les nouvelles lésions apparaissent sur le bord d’une lésion atrophique ancienne. On peut observer dans certaines formes des lésions non adjacentes et séparées du nerf optique. Il n’y a pas ou peu d’inflammation associée de la chambre antérieure ou du vitré.
L’angiographie à la fluorescéine est très caractéristique (tableau II). La lésion cicatricielle comporte un effet fenêtre avec un liseré hyperfluorescent dont la disparition est un signe de récidive (signe de Jean-Antoine Bernard). Les lésions actives apparaissent également hyper-autofluorescentes sur leurs bords. Certaines formes d’uvéites postérieures en lien avec la tuberculose peuvent prendre un aspect similaire, elle doit être systématiquement recherchée.
Uvéites postérieures atteignant primitivement le stroma choroïdien
Maladie de Vogt-Koyanagi-Harada
Maladie rare en Europe, elle est l’une des principales causes d’uvéite postérieure en Asie.
Elle débute par une phase prodromique comprenant un syndrome méningé (méningite lymphocytaire aseptique), une dysacousie, des acouphènes et des vertiges. Apparaît ensuite une uvéite postérieure bilatérale avec de multiples décollements séreux rétiniens, s’imprégnant en angiographie à la fluorescéine avec des pin-points en regard. On observe également un important retard circulatoire choroïdien, d’aspect parfois en mosaïque. De nombreuses lésions choroïdiennes diffuses hypofluorescentes sont visibles en angiographie ICG. En OCT, la choroïde est très épaissie et on observe des septa sous-rétiniens séparant les multiples décollements séreux rétiniens.
En l’absence de traitement survient une phase tardive avec manifestations oculaires (uvéite antérieure chronique, dépigmentation du fond d’œil) et cutanées (poliose, alopécie, vitiligo).
L’absence d’antécédent de traumatisme oculaire pénétrant ou de chirurgie vitréo-rétinienne est un critère diagnostique indispensable.
Ophtalmie sympathique
C’est une maladie rare qui fait suite à 0,02-0,05% des traumatismes oculaires pénétrants et 0,1% des chirurgies vitréo-rétiniennes. Elle apparaît de quelques semaines/ mois à plusieurs années après. Elle serait liée à l’exposition d’un antigène oculaire secondaire à la chirurgie/traumatisme, avec perte de la tolérance immunitaire résultant en une inflammation oculaire auto-immune bilatérale.
Elle se caractérise par une panuvéite bilatérale granulomateuse avec des lésions choroïdiennes multifocales, blanc-jaunâtre, diffuses et de petite taille (correspondant histologiquement aux nodules de Dalen-Fuchs). Chez certains patients, seule une uvéite antérieure et intermédiaire bilatérale est présente, et l’antécédent de traumatisme/chirurgie oculaire doit être recherché afin d’évoquer le diagnostic.
Sarcoïdose
La sarcoïdose est une granulomatose multisystémique d’étiologie inconnue où l’atteinte pulmonaire prédomine. Fréquente entre 20 et 40 ans, elle touche également la femme en périménopause lors d’un second pic. Son diagnostic est difficile, la seule présence d’un granulome inflammatoire (épithélioïde et gigantocellulaire sans nécrose caséeuse) dans un organe n’est pas suffisante et doit s’associer à un syndrome clinique compatible (adénopathies hilaires bilatérales, érythème noueux, arthrites des grosses articulations, hépato-splénomégalie…).
L’atteinte oculaire est présente chez 12 à 25% des patients ayant une sarcoïdose confirmée. L’uvéite (antérieure, intermédiaire, postérieure ou panuvéite) uni- ou bilatérale en est la manifestation la plus typique. L’uvéite postérieure sarcoïdosique peut se présenter sous la forme de granulomes choroïdiens ou du nerf optique, d’une choroïdite multifocale, d’une vascularite veineuse (périphlébite segmentaire et focale ou périphlébite nodulaire), voire d’occlusions veineuses. Elle peut se compliquer d’un œdème papillaire ou maculaire cystoïde.
Références bibliographiques
[1] Jabs DA, Nussenblatt RB, Rosenbaum JT. Standardization of uveitis nomenclature for reporting clinical data. Results of the First International Workshop. Am J Ophthalmol. 2005;140(3):509-16.
[2] Van Gelder RN, Sen HN, Tufail A, Lee AY. Here comes the SUN (Part 2): Standardization of Uveitis Nomenclature for disease classification criteria. Am J Ophthalmol. 2021;228:A2-6.
[3] Bodaghi B, Cassoux N, Wechsler B et al. Chronic severe uveitis: etiology and visual outcome in 927 patients from a single center. Medicine (Baltimore). 2001;80(4):263-70.