Plasma riche en facteurs de croissance (PRGF) : une solution innovante dans la prise en charge des atteintes de la surface oculaire
Symposium Horus

Le plasma riche en facteurs de croissance (PRGF), préparé à partir du kit Endoret® distribué en France par le laboratoire Horus Pharma, est une biothérapie autologue émergente pour le traitement des atteintes sévères de la surface oculaire. Il contient une concentration élevée de facteurs de croissance (notamment le PDGF, VEGF et le EGF) due à une activation plaquettaire maîtrisée. Ces médiateurs biologiques jouent un rôle central dans la régénération tissulaire, l’angiogenèse, la modulation de l’inflammation et la réparation épithéliale. En ophtalmologie, le PRGF s’impose comme une alternative thérapeutique pour les patients en impasse, notamment après échec du sérum autologue. Son intérêt croissant reflète une évolution vers une médecine régénérative personnalisée, fondée sur des produits biologiques préparés à partir du sang du patient. Il s’intègre dans un paradigme plus large de médecine de précision, à l’intersection entre innovation biotechnologique et pratique clinique quotidienne.
PRGF versus sérum autologue : divergences et convergences
D’après la communication du Pr Jérémy Magalon (Marseille)
Les collyres issus du sang du patient, comme le sérum autologue et le PRGF, se situent à l’interface entre la médecine régénérative industrielle – soumise à des exigences réglementaires lourdes – et une médecine régénérative de proximité, plus souple, intégrée aux soins courants, notamment en chirurgie. Les collyres autologues issus du sang du patient sont donc des traitements biologiques personnalisés dont la production est réalisée en milieu hospitalier selon des protocoles semi-standardisés.
Le sérum autologue, obtenu après centrifugation du sang total sans anticoagulant, repose sur le déclenchement de la cascade de coagulation, conduisant à l’obtention d’un produit riche en facteurs solubles. En France, les centres producteurs demeurent peu nombreux en raison de contraintes logistiques et réglementaires fortes. À Marseille, une organisation structurée a été mise en place : après l’indication clinique posée par le service d’ophtalmologie, le laboratoire hospitalier organise le prélèvement, réalise la préparation en zone à atmosphère contrôlée, suivie d’une période de quarantaine de 2 semaines permettant une analyse microbiologique du produit final avant le transfert à la pharmacie à usage intérieur de l’hôpital. Le patient reçoit ensuite son traitement pour 6 mois. Une étude rétrospective de la cohorte marseillaise publiée en 2019 dans la revue Ocular Surface a montré que 68% d’une cohorte de 50 patients (87 yeux traités) étaient répondeurs au sérum autologue, avec un taux de réponse variable selon les pathologies.
Le PRGF est, lui, préparé à partir de sang recueilli dans des tubes contenant un anticoagulant, permettant de préserver les plaquettes. Après centrifugation et séparation sélective,les plaquettes sont activées par du chlorure de calcium et placées dans une étuve à 37 °C, induisant la libération des facteurs de croissance. Sur le plan in vitro, le PRGF induit une prolifération cellulaire significativement plus importante par rapport au sérum autologue non dilué. L’étude marseillaise, effectuée uniquement sur des patients réfractaires au sérum autologue, montre une amélioration des scores OSDI et Oxford dès 2,5 mois, atteignant un taux de réponse compris entre 55 et 80%. En outre, les données cliniques collectées à 12 mois de traitement semblent souligner la durabilité des effets et la bonne tolérance sur le long terme.
Le PRGF constitue donc une alternative thérapeutique pertinente pour les patients non répondeurs au sérum autologue, population pour laquelle les options restent limitées malgré les traitements conventionnels. Malgré ces résultats prometteurs, la mise en œuvre du PRGF reste freinée par un cadre réglementaire contraignant et une logistique hospitalière lourde. Une réflexion est engagée autour de la simplification des circuits de prescription, de la mise en place d’automates dédiés et du dialogue avec les tutelles. Par ailleurs, des pistes alternatives sont à l’étude : collyres allogéniques issus du placenta ou vésicules extracellulaires aux propriétés immunomodulatrices et réparatrices. L’essor du PRGF pourrait ainsi s’inscrire dans une stratégie plus globale visant à intégrer les biothérapies autologues et allogéniques dans des filières de soins pérennes.
Prise en charge des atteintes de la surface oculaire par le PRGF
D’après la communication du Pr Éric Gabison (Paris)
Au sein des centres tertiaires, le PRGF est principalement utilisé pour traiter les pathologies de surface oculaire sévères, réfractaires aux traitements conventionnels. À la Fondation Adolphe de Rothschild, une cohorte rétrospective de 178 patients, suivis entre octobre 2023 et mars 2025, a permis de recueillir des données précises sur 132 patients avec un suivi médian de 9 mois. Les indications comprenaient les ulcères cornéens, les kératites ponctuées superficielles, les brûlures chimiques, les douleurs neuropathiques, les sécheresses sévères, ainsi que les déficits limbiques d’origine congénitale.
La population traitée était à prédominance féminine, avec un âge médian de 59 ans, illustrant l’impact de ces pathologies sur une population relativement jeune. Le PRGF a montré une efficacité clinique notable avec 63% de réponses favorables. Les ulcères cornéens répondaient particulièrement bien, avec une fermeture épithéliale dans le premier mois et demi de traitement chez la majorité des patients. Dans les formes résistantes aux traitements plus conventionnels, le PRGF a également démontré son intérêt que ce soit après échec du sérum autologue, ou après échec de greffe de membrane amniotique, avec un taux de réponse de plus de 50%. Au total, le traitement a été interrompu dans moins de 5% des cas (aggravations et infections fongiques sur terrain à haut risque). Dans les cas les plus sévères, notamment les anomalies congénitales avec insuffisance limbique, le PRGF a permis une restauration partielle de la surface oculaire après l’échec des autres approches.
L’enjeu chez ces patients est souvent double : en l’absence de cicatrisation, le risque de perforation cornéenne est majeur mais une cicatrisation inappropriée peut aussi aboutir à une fibrose altérant la transparence cornéenne. Le PRGF semble justement capable d’intervenir sur ces 2 axes, en favorisant une accélération de la cicatrisation et en inhibant la formation de fibrose, notamment via la modulation du TGF-ß comme le montre la publication d’Anitua et al. 2011 dans Investigative Ophthalmology & Visual Science. Les travaux expérimentaux réalisés dans le laboratoire du Pr Gabison ont confirmé ces effets in vitro par des tests de contraction sur gel de collagène, reproduisant l’effet antifibrotique du PRGF.
Le PRGF apparaît aujourd’hui comme un outil incontournable dans l’arsenal thérapeutique des pathologies de surface oculaire sévères, avec un profil d’efficacité documenté, y compris en seconde ligne, et un rationnel physiopathologique solide appuyé par les données expérimentales et cliniques.
PRGF dans la GVH : une opportunité pour les patients ?
D’après la communication du Pr Jean-Louis Bourges (Paris)
La réaction du greffon contre l’hôte (GVH) oculaire, définie par la classification publiée dans Biology of Blood and Marrow Transplantation en 2015, correspond à une sécheresse oculaire sévère après greffe allogénique. Elle associe une atteinte des glandes lacrymales, des glandes de Meibomius, des cellules caliciformes conjonctivales et de l’épithélium cornéen. Au stade 3 de la classification du National Institutes of Health, elle entraîne un retentissement fonctionnel majeur (figure 1).
Les traitements habituels (corticoïdes, ciclosporine, lentilles sclérales, bouchons méatiques, collyres lubrifiants, sérum autologue) demeurent insuffisants pour certains patients. Le PRGF représente une alternative pour ces formes réfractaires et sévères. Le collyre de PRGF contient une concentration élevée en facteurs de croissance plaquettaires et est dépourvu de médiateurs pro-inflammatoires. Des effets régénérants, anti-inflammatoires et neurotrophiques lui sont attribués.
À l’ophtalmopole de l’hôpital Cochin (AP-HP), 4 patients atteints d’une GVH oculaire sévère ont été traités par un collyre de PRGF avec un suivi de plus de 6 mois. Ces patients ont présenté une amélioration des symptômes, du score fonctionnel général et une régression de la kératinisation conjonctivale.
De façon similaire, Sanchez-Avila et al. 2018 ont rapporté une amélioration significative chez des patients GVH non répondeurs au sérum autologue traités par des collyres de PRGF.
Nous disposons de peu de données sur le mécanisme d’action du PRGF dans le traitement des GVH. Cependant, il apparaît sous microscopie confocale in vivo que l’augmentation significative de la densité des fibres nerveuses et du score de tortuosité des nerfs sous-basaux (He et al., 2017) observée chez les patients GVH soit un synonyme d’excitation du système neurologique cornéen et d’inflammation sévère. L’amélioration des symptômes et des signes cliniques observée chez les patients GVH traités par PRGF suggérerait une action anti-inflammatoire, neuroprotectrice, voire neurotropique du PRGF.
En conclusion, le PRGF s’impose comme une biothérapie innovante, bien tolérée, aux effets démontrés dans les kératopathies sévères, y compris post-GVH. Il offre une alternative thérapeutique dans les cas d’échec ou de dépendance au sérum autologue. L’avenir du PRGF dépendra de l’harmonisation des protocoles, de son intégration dans les filières de soin hospitalières et de son inscription dans les recommandations officielles. Son développement reflète une avancée significative vers une ophtalmologie de précision, intégrant biologie translationnelle et personnalisation des soins.