PresbyLasik : l’ectasie postopératoire est-elle également possible ?

Un homme de 53 ans consulte pour une baisse d’acuité visuelle rapidement évolutive de l’œil gauche. On note dans ses antécédents ophtalmologiques un presbyLasik réalisé il y a 4 ans. Outre la baisse d’acuité visuelle de l’œil gauche, le patient se plaint également d’un syndrome sec postopératoire connu et traité.

Le presbyLasik avait visé à droite une emmétropie, avec une réfraction d’origine à +2,00 D et une réfraction cible à 0,00 D, et à gauche une myopie avec une réfraction d’origine à +2,25 D et une réfraction cible à -2,00 D. L’objectif de cette intervention était donc d’obtenir une monovision de près de l’œil gauche. L’acuité visuelle (AV) sans correction du patient est de 10/10 à droite et de 3/10 P3 à gauche. Sa meilleure AV corrigée est à droite de 10/10 P1,5 avec une addition de +1,75 D, et à gauche de 10/10 P2 avec +1,50 (-3,50) à 120° et une addition de +1,75 D. Sa pression intraoculaire est dans les normes, et l’examen en lampe à fente ainsi que le fond d’œil non dilaté sont sans particularité. Devant ces éléments, des topographies cornéennes sont réalisées.

Observation

Sur la figure 1, la topographie est régulière et symétrique. Il n’y a pas de forme évocatrice d’ectasie, avec notamment une absence de bombement de la face antérieure ou de la face postérieure. Le facteur q est de -0,88, signant une cornée plus prolate que la norme, ce qui était attendu au vu du Lasik myopisant subi au niveau de l’œil droit. 

Sur la figure 2, la topographie montre un décentrement du point le plus fin en inférotemporal, ainsi qu’un bombement de la face postérieure. Par ailleurs, on note une perte d’énantiomorphisme des pachymétries et des faces postérieures. Ainsi, la pachymétrie au point le plus fin est de 471 microns, vs 523 microns à droite. Le cylindre est de 2,00 D, fortement supérieur à celui de l’œil droit qui est de 0,50 D. Le diagnostic d’ectasie post-Lasik unilatérale gauche est ainsi posé. La difficulté est de ne pas confondre le bombement obtenu volontairement pour traiter l’amétropie et la déformation asymétrique anormale de la cornée.

Discussion

Il apparaît alors nécessaire de se questionner sur la présence de facteurs de risque d’ectasie post-Lasik non décelés en préopératoire.
Premièrement, il ne s’agissait pas d’un patient jeune puisque presbyte. Deuxièmement, il ne présentait pas un terrain défavorable à la réalisation d’un Lasik : pas d’antécédents familiaux de kératocône, ni de collagénose ou atopie. Troisièmement, il faut se demander si ses cornées étaient déjà irrégulières en préopératoire (figures 3 et 4). On note sur les topographies préopératoires du Pentacam l’absence de signe d’asymétrie ou d’asphéricité cornéenne inhabituelle, l’absence de bombement hors norme et une pachymétrie au point le plus fin normale également, un bon parallélisme entre les faces avant et arrière (élévation), un fort énantiomorphisme, validant la normalité topographique préopératoire. Ensuite, la recherche d’une chirurgie ayant mené à un affaiblissement cornéen excessif doit être effectuée, ce qui n’était pas le cas puisque le PTA (pourcentage total altéré) était bien inférieur à 40%, avec un volet réalisé au laser non épais. Enfin, il est nécessaire d’interroger le patient sur l’existence de microtraumatismes cornéens postopératoires répétés. Et c’est là que le patient « avoue » dormir chaque nuit en appuyant son hémiface gauche sur son bras gauche (figure 5).

D’un point de vue thérapeutique, la prise en charge initiale repose sur 3 points-clés : la mise en place d’un port de coques de protection nocturne rigides qui empêchent mécaniquement les frottements oculaires en attendant que le patient parvienne à changer ses habitudes et à modifier sa position de sommeil, la prescription d’une correction optique sous forme de lunettes, et une surveillance stricte avec un contrôle précoce à une distance de 3 à 4 mois. À la consultation de suivi, 4 mois après la pose du diagnostic, le patient ne se plaint pas d’une majoration de sa baisse d’AV. La meilleure AV corrigée est effectivement stable, ainsi que les topographies de contrôle réalisées. Il est confortable avec sa correction optique, porte effectivement ses coques nocturnes et travaille à réviser sa position de sommeil. Il est alors revu pour la dernière fois en consultation 6 mois plus tard. Son AV se maintient, les topographies restent stables et il est parvenu à modifier sa position de sommeil habituelle mais porte toujours ses coques nocturnes par précaution. Concernant sa prise en charge future, il est décidé de maintenir un suivi semestriel pendant 2 ans, puis d’espacer à un suivi annuel à vie, tant qu’il reste confortable avec son adaptation en lunettes et que les topographies ne montrent pas d’évolution. Il est par ailleurs rappelé au patient qu’il est essentiel de bannir toutes formes de frottements oculaires. Par ailleurs, en cas de dégradation des examens topographiques, il faudra à l’avenir envisager un corneal collagen cross-linking, éventuellement couplé à la pose d’un anneau intracornéen si la dégradation anatomique s’accompagne d’une dégradation fonctionnelle inaméliorable par une correction optique.

Conclusion
Finalement, ce cas clinique atypique nous prouve que l’ectasie post-Lasik n’est pas l’apanage du sujet jeune : elle est en effet également possible chez un sujet dépassant la cinquantaine et ayant bénéficié d’un presbyLasik. Cependant, ces ectasies de l’adulte plus âgé sont souvent moins sévères et plus simples à stabiliser. Il est pour cela essentiel d’informer les patients opérés par laser soustractif sur les risques des positions de sommeil vicieuses ou des frottements oculaires agressifs, puisqu’ils peuvent mener à d’authentiques cas d’ectasie postopératoire malgré un risque préopératoire très faible.

Auteurs

Les derniers articles sur ce thème

L'accès à la totalité de la page est protégé.

Je m'abonne

Identifiez-vous