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Prise en charge des hypertonies cortico-induites

L’hypertonie intraoculaire secondaire à la prise de corticoïdes est iatrogénique. Elle peut conduire à une neuropathie optique glaucomateuse dont le handicap peut s’ajouter à celui de la pathologie initiale. Nous évoquerons ici l’origine physiopathologique, les facteurs de risque à identifier et la prise en charge appropriée à une hypertonie ou à un glaucome cortisonique, en particulier après injection intravitréenne.

L’hypertonie intraoculaire peut survenir avec tous les types de corticoïdes mais elle sera plus fréquente selon certains types de stéroïdes. Ainsi, la fluocinolone entraînera plus d’hypertonie que la triamcinolone et la dexaméthasone. La fréquence de l’hypertonie varie aussi selon la voie d’administration (intraoculaire > topique > orale).
En cas de prise topique, 5% des patients présenteront une hypertonie supérieure à 15 mmHg. Non diagnostiquée et non prise en charge, elle aboutira au développement d’une neuropathie optique glaucomateuse secondaire à la prise de cortisone ou à un glaucome cortisonique.
La physiopathologie sous-jacente est présumée avoir une prédisposition génétique. Parmi les gènes identifiés, nous pouvons citer le gène codant pour la myociline MYOC, qui joue un rôle dans la survenue d’un glaucome mais pas spécifiquement un glaucome cortisonique. Il est probable qu’une combinaison de gènes soit responsable de cette susceptibilité aux corticoïdes.
Il existe une résistance à l’évacuation de l’humeur aqueuse. Les corticoïdes vont avoir 3 modes d’action pour déclencher une hypertonie : d’abord un changement physique et mécanique dans la structure du trabéculum, puis une accumulation de dépôts de type glycosaminoglycanes dans le trabéculum, et enfin une diminution de la dégradation de substances comme les métalloprotéases et une inhibition de la phagocytose de cellules endothéliales.

L’identification de facteurs de risque prédisposant à une hypertonie cortisonique permet de repérer plus tôt et plus fréquemment les sujets qui présenteront une hypertonie secondaire à la prise de cortisone (figure 1).

L’un des facteurs de risque est la présence d’un glaucome préexistant personnel ou familial, ou simplement une suspicion de glaucome.
L’hypertonie est le plus souvent asymptomatique et la prise en charge passera par un dépistage (prise de la pression intraoculaire [PIO]), l’arrêt ou la diminution des corticoïdes quand cela est possible, et des hypotonisants. La normalisation de la pression se fait en général en 1 semaine après l’arrêt de la prise de corticoïdes. L’âge peut aussi être un facteur de risque, avec une distribution bimodale (pic à 6 ans et après 60 ans). Enfin, la myopie forte, le diabète de type 1 et les connectivites sont aussi des groupes à risque.
Les indications de prise de corticoïdes les plus souvent rencontrées sont les uvéites, les kératoconjonctivites vernales, un contexte postopératoire ou pour le traitement d’une pathologie rétinienne comme l’œdème maculaire diabétique (OMD) ou l’occlusion veineuse rétinienne.

Prise en charge

Nous nous intéresserons plus particulièrement au cas des injections intravitréennes (IVT) de corticoïdes car bien souvent, le produit ne peut être arrêté et l’indication de l’utilisation de corticoïdes persiste malgré l’hypertonie et ne permet aucune alternative efficace. Actuellement, 2 implants à libération prolongée de corticoïdes sont disponibles.
L’Ozurdex® (Allergan, Inc, Irvine, Californie, États-Unis) est un dispositif biodégradable à libération prolongée de dexaméthasone qui est inséré dans la cavité vitréenne à l’aide d’une incision tunnelisée à travers une aiguille de calibre 23 G. Un implant de dexaméthasone contient 700 µg de dexaméthasone qui est libéré pendant 4 à 6 mois.
L’Iluvien® (Alimera Sciences, Inc, Alpharetta, Georgie, États-Unis) est un implant non biodégradable de fluocinolone inséré dans la cavité vitréenne via la pars plana à travers une aiguille de calibre 25 G. L’acétonide de fluocinolone est libéré à raison de 0,2 µg par jour jusqu’à 36 mois.
L’évolution temporelle de l’hypertonie après l’administration intravitréenne de corticoïdes varie selon la molécule et la dose.
Après l’identification des personnes à risque, gestion de l’hypertonie est indispensable pour éviter la survenue d’un glaucome secondaire cortisonique à long terme.
Le traitement, outre l’arrêt des corticoïdes quand cela est possible, passe par des hypotonisants locaux, voire généraux, la réalisation d’un laser SLT ou une chirurgie du glaucome de type Xen ou une sclérectomie non perforante ou perforante.
Dans le cas d’une hypertonie supérieure à 21 mmHg, une imagerie des fibres et un champ visuel sont recommandés en plus de la prise de pression régulière (figure 2).

Concernant la tolérance des IVT de dexaméthasone, l’étude SAFODEX (I et II) a mis en lumière le fait que deux tiers des patients présentant un OMD et traités par implant de dexaméthasone étaient de faibles répondeurs (augmentation inférieure à 6 mmHg) et que 97% présentaient une augmentation entre 0 et 15 mmHg. Un renforcement ou l’instauration transitoire d’un traitement hypotonisant sera nécessaire dans un tiers des cas et suffisant dans la grande majorité des cas.
Les patients à haut risque sont ceux ayant eu une bi- ou trithérapie préalable car 19% nécessiteront une chirurgie filtrante. En revanche, aucun patient sous monothérapie n’a eu recours à une chirurgie filtrante. Enfin, 84% des patients hypertones ou glaucomateux retrouvent leur traitement initial à l’arrêt du traitement corticoïde. L’hypertonie déclenchée par l’implant d’Ozurdex peut être précoce chez les patients glaucomateux et une visite de contrôle à J8 est recommandée pour ce groupe à risque.
Par ailleurs, le pic d’observation de l’hypertonie oculaire se produira à 1 et à 2 mois, au pic d’efficacité du produit de l’implant de dexaméthasone. Ce profil était observé autant chez les patients glaucomateux que chez les non glaucomateux.
Enfin 80% des hypertonies étaient découvertes dès le deuxième implant de dexaméthasone, indépendamment de la présence ou non d’un glaucome préexistant. Dit autrement, la probabilité de développer une hypertonie sévère est inférieure à 5% si elle n’a pas été détectée après les 2 premières injections.
De façon prophylactique, en cas de poursuite du traitement par corticoïdes de type Ozurdex, la prise d’hypotonisants est recommandée pour une durée de 3 mois couvrant le pic d’efficacité du produit. Pour les implants d’Iluvien, la durée de traitement sera alors prolongée.
La stratégie visant à repérer les patients à risque d’hypertonie sous Iluvien consiste à identifier les patients présentant un risque majoré d’hypertonie non contrôlée. Le groupe de patients ayant eu une hypertonie sous Ozurdex est ainsi particulièrement à risque et devra être évité. Il faut considérer que si un patient a eu 3 injections d’Ozurdex sans hypertonie, il ne présente pas un grand risque d’hypertonie sous Iluvien.
Il n’y a aucune preuve concernant le choix du traitement abaissant la PIO ou la PIO ciblée pour l’hypertension oculaire (HTO) induite par les stéroïdes chez les patients atteints d’un OMD. Les lignes directrices de l’EGS recommandent :
- l’arrêt de la corticothérapie ou le passage à un stéroïde plus faible ;
- l’administration d’un médicament topique ou systémique abaissant la PIO ;
- la trabéculoplastie au laser ;
- la chirurgie du glaucome dans les cas réfractaires.

Deux algorithmes pour les patients atteints d’un OMD et traités par des corticostéroïdes intravitréens ont fait l’objet d’un accord d’expert : l’un pour la stratification du risque de base (figure 2) et avant l’administration d’un corticoïde, et le second pour la surveillance et la gestion de la PIO après l’administration d’un corticoïde. Dans l’algorithme de stratification des risques, les patients atteints d’un glaucome préexistant ou avancé ne sont pas éligibles au traitement selon les notices respectives des implants d’acétonide de fluocinolone (Iluvien) et de dexaméthasone (Ozurdex). Certains auteurs ont suggéré que le glaucome préexistant devrait être une contre-indication relative à l’utilisation de stéroïdes, car les stéroïdes intravitréens peuvent être le seul traitement efficace pour certains patients. En pratique courante, la présence d’un glaucome contrôlé avec un champ visuel dont l’atteinte n’est pas sévère ne constitue pas une contre-indication. Pour le suivi des patients dont la PIO est inférieure ou égale à 21 mmHg, sans antécédent de traitement médicamenteux abaissant la PIO ou d’augmentation de la PIO après corticothérapie, la mesure de la PIO seule est suffisante. Pour ceux ayant une HTO (PIO supérieure à 21 mmHg), ou recevant déjà des médicaments abaissant la PIO ou ayant des antécédents d’HTO après un traitement aux corticostéroïdes, une imagerie de base – telle qu’une tomographie par cohérence optique de la tête du nerf optique et de la couche de fibres nerveuses rétiniennes – et des tests de champ visuel doivent être effectués pour référence future.

Le deuxième algorithme concerne la surveillance et la gestion (figure 3). Pour les patients ayant une PIO inférieure ou égale à 21 mmHg, le protocole de suivi standard s’applique. Si un patient développe une PIO comprise entre 21 et 25 mmHg, la prochaine visite doit avoir lieu dans les 6 semaines ; si la PIO reste dans cette fenêtre, le protocole de suivi standard s’applique. Si cela n’a pas été fait auparavant, le patient doit subir une imagerie de base et des tests de champ visuel. Pour les patients développant une PIO supérieure à 25 mmHg, un traitement doit être envisagé avec des médicaments abaissant la PIO ou une trabéculoplastie au laser selon les pratiques locales. Si la PIO reste supérieure ou égale à 25 mmHg avec 2 médicaments actifs, le patient doit être référé à un spécialiste du glaucome. Dans l’ensemble, la prise en charge de l’augmentation de la PIO chez les patients atteints d’un OMD qui ont reçu un corticostéroïde intravitréen n’est pas différente de celle des autres patients atteints d’une HTO primaire, car il n’y a aucune preuve d’un risque supplémentaire pour les patients diabétiques (figure 4). 

Le traitement doit commencer par une monothérapie, comme indiqué dans les lignes directrices de la European Glaucoma Society (EGS). L’utilisation d’analogues de prostaglandines n’est pas contre-indiquée, mais les cliniciens traitants doivent être conscients de la survenue peu fréquente d’un œdème maculaire dû à l’utilisation d’analogues de prostaglandines.
Les contre-indications propres à chaque classe de médicaments antiglaucomateux topiques doivent être étudiées au cas par cas.
Ces recommandations ne sont cependant pas spécifiques à l’administration intravitréenne ni aux patients atteints d’un OMD. Il n’existe donc pas de recommandation pour éviter les analogues de prostaglandines en première intention.
La place du SLT dans la prise en charge reste à définir mais plusieurs études prouvent son efficacité à traiter l’hypertonie et prévenir les récurrences après de nouvelles injections d’implant de dexaméthasone. Ainsi, l’étude de Benedjai et al. montre une efficacité remarquable avec une baisse pressionnelle de 30% après SLT, permettant de renouveler le traitement par Ozurdex sans hypertonie secondaire lors des injections suivantes. De la même manière, l’étude de Billant et al. sur une série de 35 yeux montre une baisse pressionnelle de 35% et la possibilité de poursuivre les injections d’Ozurdex chez 88,6% des patients.
Dans les dernières recommandations de l’EGS, un traitement de l’hypertonie en première intention peut être réalisé par laser SLT avant même l’instauration d’une monothérapie. L’hypertonie post-corticoïdes entre dans ce cadre.

Conclusion

Les corticoïdes sont un traitement efficace mais présentent un risque d’iatrogénie non négligeable, comme la survenue d’une hypertonie, voire d’un glaucome cortisonique.
La prise en charge passera par une prévention, un traitement quand significatif, une surveillance adaptée à la durée d’action du corticoïde employé.
Les nouvelles thérapeutiques du type SLT ou MIGS seront à évaluer à l’avenir mais semblent prometteuses.

Pour en savoir plus
Chan W, Wiggs JL, Sobrin L. The genetic influence on corticosteroid-induced ocular hypertension: a field positioned for discovery. Am J Ophtalmol. 2019;202:1-5.
Goñi FJ, Stalmans I, Denis P et al. Elevated intraocular pressure after intravitreal steroid injection in diabetic macular edema: monitoring and management. Ophthalmol Ther. 2016;5(1):47-61.
Rezkallah A, Mathis T, Abukhashabah A. Long-term incidence and risk factors of ocular hypertension following dexamethasone-implant injections: the safodex-2 study. Retina. 2021;41(7):1438-45.
Bennedjai A, Theillac V, Akesbi J et al. The effect of selective laser trabeculoplasty on intraocular pressure in patients with dexamethasone intravitreal implant-induced elevated intraocular pressure. J Ophthalmol. 2020; 2020:3439182.
Billant J, Agard E, Douma I et al. Use of selective laser trabeculoplasty as an alternative in patients who developed ocular hypertension after intravitreal dexamethasone implants: a series of 35 eyes. Graefes Arch Clin Exp Ophthalmol. 2022; doi:10.1007/ s00417-022-05725-3.

Auteurs

  • Jad Akesbi

    Ophtalmologiste

    Institut parisien d'ophtalmologie, Paris

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