Prise en charge d’une dacryocystocèle congénitale, compliquée ou non d’une dacryocystite aiguë

La dacryocystocèle congénitale est une pathologie rare correspondant à une dilatation du sac lacrymal chez le nouveau-né. Il s’agit d’une accumulation de liquide amniotique ou de mucus, résultant de l’obstruction du canal lacrymonasal associée à une hypercontinence de la valve canaliculo-sacculaire. Si son évolution est favorable dans la plupart des cas, elle peut néanmoins se compliquer d’une dacryocystite aiguë.

La dacryocystocèle congénitale est une distension sous le tendon canthal médial de coloration bleutée qui devient rouge si elle évolue en dacryocystite aiguë, avec un caractère liquidien à la palpation (figure 1). Elle résulte de l’obstruction du canal lacrymonasal associée à l’hyper­continence de la valve canaliculo-sacculaire se situant à l’abouchement du canalicule commun à la paroi latérale du sac lacrymal [1]. L’obstruction est due à un retard de perméabilisation de la partie inférieure du canal au niveau de la valve de Hasner. Cliniquement, cela se traduit par un épiphora, un reflux de matériel purulent provenant du point lacrymal inférieur. Elle est la principale cause des dacryocystites aiguës pédiatriques.

Épidémiologie

Les dacryocystocèles représentent moins de 0,3% des cas d’obstruction du canal lacrymonasal. Leur incidence concerne 0,02% des naissances et elles sont majoritairement unilatérales (82,5%). Environ 50% des dacryocystocèles se compliqueront d’une dacryocystite aiguë, dont 24,7% progresseront ensuite vers une cellulite [2].

Étiopathogénie et embryologie

Le système lacrymal excréteur est issu d’une invagination ectodermique entre le processus maxillaire et le processus nasal. Cette invagination va former un cordon qui se perméabilisera entre le troisième et le sixième mois de gestation [3]. Mais une membrane au niveau de la valve de Hasner peut persister. Si 5% des dacryocystocèles sont visibles in utero, seules 2% sont cliniquement diagnostiquées à la naissance, ce qui sous-entend une guérison lors des accouchements par voie basse, avec la rupture de cette membrane par le passage de l’enfant dans la filière pelvienne. Au cours du premier mois de vie, 80% des dacryocystocèles présenteront une évolution favorable par déchirement spontané de cette membrane [1].

Diagnostic clinique : forme simple et sablier lacrymal

La distension du sac se présente généralement sous sa forme simple : une dilatation dans sa partie canthale uniquement. Il est rare que la dilatation intéresse également la partie nasale du sac qui, dilatée et située sous le cornet nasal inférieur, peut combler le méat nasal inférieur et plaquer le cornet inférieur vers le septum nasal (figure 2). Cette configuration rare est nommée « sablier lacrymal ». Les cavités nasale et canthale communiquent entre elles et la pression de l’une des cavités entraîne l’augmentation de la pression de l’autre dans un mouvement de transvasement du liquide présent au sein de la dacryocystocèle. Le sablier lacrymal peut engendrer des complications respiratoires car, pour rappel, la respiration du nouveau-né se fait exclusivement par le nez le premier mois de vie [4]. Un examen rhinoscopique est nécessaire pour ne pas méconnaître un sablier lacrymal et pour éliminer un éventuel kyste intranasal associé qui modifierait la prise en charge.

Examens complémentaires
Les examens d’imagerie ne sont pas nécessaires pour poser un diagnostic de dacryocystocèle – qui est clinique –, mais ils sont utiles pour éliminer un diagnostic différentiel et pour guider la prise en charge. Une imagerie par résonance magnétique centrée sur les voies lacrymales sous sédation est préférable afin d’éviter toute irradiation. Une échographie orbitaire peut être demandée au préalable si l’IRM ne peut être réalisée le jour même.

Diagnostics différentiels
La présentation clinique d’une dacryocystocèle est assez unique et présente essentiellement comme diagnostic différentiel le méningo-encéphalocèle. Les diagnostics différentiels de dacryocystite aiguë pouvant compliquer une dacryocystocèle sont plus nombreux : angiome, lymphangiome, dacryocystite chronique, hémangiome congénital (nodule rouge accompagné de télangiectasies et entouré d’un halo pâle) ou encore tumeur maligne comme le rhabdomyosarcome [5]. 

Complication : la dacryocystite aiguë

La dacryocystite aiguë est caractérisée par une inflammation et une sensibilité de la région située sous le tendon canthal médial. Une tuméfaction rouge et œdémateuse apparaît en regard du sac lacrymal, associée à un reflux de sécrétions mucopurulentes à la pression du sac (figure 3). La dacryocystite aiguë peut évoluer rapidement vers une cellulite pré- ou rétroseptale (intensification des douleurs, chémosis, limitation des mouvements oculaires, exophtalmie), un abcès orbitaire, une cellulite faciale bactériémique aiguë, une thrombose du sinus caverneux, un abcès cérébral, un sepsis, une méningite. Ces complications s’expliquent par un système lacrymal excrétoire possédant une vascularisation étendue vers les structures intracrâniennes sans valves dans ces régions, associé à un système immunitaire encore immature.

Conduite à tenir face à une dacryocystocèle congénitale

Traitement conservateur en premier lieu
Un traitement conservateur est de mise le premier mois de vie, à savoir des massages quotidiens du sac lacrymal plus ou moins associés à un traitement antibiotique topique. Les régressions spontanées se font majoritairement le premier mois de vie, le traitement chirurgical par sondage n’est donc envisagé que dans un second temps.

Sondage des voies lacrymales
Le sondage est indiqué en première intention si la dacryocystocèle est associée à une dacryocystite aiguë ou à des signes de détresse respiratoire et des difficultés à l’alimentation. La dacryocystite aiguë sera d’abord traitée par antibiothérapie intraveineuse, puis le sondage sera réalisé à distance, dans les 2 mois maximum suivant la résolution des symptômes.
Il est préconisé de réaliser le sondage sous anesthésie générale pour éviter les traumatismes canaliculaires et les faux passages, et faciliter l’exposition du point lacrymal [6].
Le taux de récidive après un premier sondage s’élève à 25%. Il est souvent dû à la présence d’un kyste intranasal associé, à une infection ou à sa réalisation en cabinet de ville.

Indication d’un guidage endoscopique associé au sondage : 2 situations
Si le guidage endoscopique n’est pas réalisé systématiquement, il existe néanmoins 2 cas où il est nécessaire.
Signes de détresse respiratoire
Une détresse respiratoire dans un contexte de dacryocystocèle (19,8% des cas) [3] doit motiver en urgence une évaluation des cavités nasales par un examen endoscopique à la recherche d’un kyste ou d’un sablier, suivie d’un drainage/sondage en urgence.
Un kyste intranasal associé
Le kyste intranasal entraîne une détresse respiratoire dans 43% des cas car il est soit bilatéral, soit large (plus de 50% de la cavité nasale). Selon les études, la prévalence est en moyenne de 50,6% des cas [2]. Ce guidage permettra de l’éliminer ou, au besoin, de le traiter par marsupialisation. Il peut provoquer une détresse respiratoire aiguë lors du sondage et entraîner un arrêt cardiorespiratoire. La réalisation de ce geste nécessite l’appui d’un chirurgien ORL.

Sonde en silicone
Il n’existe pas de recommandations car peu de cas ont été traités par la mise en place d’une sonde en silicone. Il semblerait qu’elle trouve sa place après l’échec d’un premier sondage simple ou après la marsupialisation d’un large kyste intranasal.

Dacryocystorhinostomie
Par voie endoscopique ou par voie externe, elle est rarement réalisée et seulement après l’échec d’une marsupialisation ou face à un abcès lacrymal récurrent. 

Prise en charge de la dacryocystite aiguë compliquant une dacryocystocèle

Dans le cas d’une dacryocystite aiguë, il est admis d’hospitaliser l’enfant et de le traiter en urgence par une antibiothérapie à large spectre (par exemple, amoxicilline-acide clavulanique 80 mg/kg/24 heures), par voie intraveineuse initialement, et pour une durée totale de 7 à 10 jours. En parallèle, des lavages par sérum physiologique associés à des massages doux du sac lacrymal sont réalisés pour faciliter l’excrétion du contenu purulent. Un retour à domicile avec un relais per os est envisageable après une couverture intraveineuse d’au moins 72 heures associée à une amélioration clinique franche. Un sondage à froid est réalisé dans les semaines suivantes pour éviter une récidive de la dacryocystite aiguë.

Conclusion

La dacryocystocèle est une pathologie peu fréquente, dont les complications sont rares mais peuvent engager le pronostic vital. Néanmoins, une prise en charge médicale adaptée et plus ou moins associée à un geste chirurgical permet généralement une guérison et des suites simples. Au regard de la littérature et de notre expérience, nous proposons ici un arbre décisionnel synthétisant ainsi la prise en charge de cette affection (figure 4).

Références bibliographiques
[1] Racy E, Fayet B, Hamedani M. Distention néonatale du sac lacrymal. Réalités pédiatriques. 2012;173(1):14-6.
[2] Singh S, Ali MJ. Congenital dacryocystocele: A major review. Ophthalmic Plast Reconstr Surg. 2019;35(4):309-17.
[3] Hitter A, Lamblin E, Morand B et al. Dacryocystocèles congénitales : traitement chirurgical ou simple surveillance ? Rev Stomatol Chir Maxillofac Chir Orale. 2016;117(1):15-9.
[4] Moore NA, Chundury RV. A neonate with acute dacryocystitis. JAMA Ophthalmol. 2018;136(1):86-7.
[5] Ali MJ. Pediatric acute dacryocystitis. Ophthalmic Plast Reconstr Surg. 2015;31(5):341-7.
[6] Lee MJ, Park J, Kim N et al. Conservative management of congenital dacryocystocele: resolution and complications. Can J Ophthalmol. 2019;54(4):421-5.

Auteurs

Les derniers articles sur ce thème

L'accès à la totalité de la page est protégé.

Je m'abonne

Identifiez-vous