Quand suspecter une dystrophie devant une atrophie maculaire ?

L’atrophie maculaire est responsable d’une baisse de vue assez sévère et souvent irréversible. Elle engendre une grande gêne pour la vision de loin et de près, ainsi qu’un scotome central. Les patients sont souvent adressés à des spécialistes en basse vision qui vont tenter d’améliorer leur qualité de vie.

L’atrophie géographique dans le cadre d’une dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA) reste de loin le diagnostic le plus fréquent [1]. Cependant, des causes secondaires doivent toujours être éliminées (iatrogènes, vasculaires…), notamment la dystrophie rétinienne, qu’il faut suspecter dans des contextes particuliers [2]. Cela n’est pas toujours évident, surtout si la découverte de l’atrophie centrale est tardive, mais reste important en raison du bilan et de la prise en charge qui sont particuliers dans ces maladies relativement rares. La distinction devient de plus en plus importante en raison de l’émergence exponentielle des essais thérapeutiques dans la DMLA et les dystrophies rétiniennes.

Éléments cliniques faisant suspecter une dystrophie rétinienne

L’interrogatoire est une étape extrêmement importante dans notre démarche diagnostique [3]. À lui seul, il pourrait révéler de nombreux points pertinents.

Âge de survenue des symptômes
La baisse de la vision dans le cadre des dystrophies maculaires est souvent beaucoup plus précoce que dans la DMLA. Les patients notent fréquemment une baisse de l’acuité visuelle qui débute vers l’adolescence ou lorsqu’ils sont jeunes adultes.

Symétrie
La symétrie quasi parfaite de l’atrophie maculaire est un élément très évocateur d’une dystrophie maculaire (à l’exception de quelques pathologies, notamment vitelliformes). L’atrophie géographique dans la DMLA, même si elle est souvent bilatérale, ne donne que rarement une atteinte fortement symétrique.

Symptomatologie/signes accompagnateurs
- Photophobie : elle est souvent plus marquée dans la dystrophie des photorécepteurs.
- Vision des couleurs : elle peut être assez atteinte dans certains cas de dystrophie.
- Héméralopie : classiquement, une DMLA ne génère pas d’héméralopie, et l’association atteinte de la vision diurne et nocturne doit faire évoquer un terrain dystrophique sous-jacent.
- Nystagmus : il témoigne d’une atteinte de l’âge précoce (excepté les nystagmus liés à des problèmes neurologiques).
- Autres : atténuation du champ visuel, etc. Antécédents médicaux L’atrophie centrale, quand elle est précoce et associée à des problèmes de santé générale comme diabète, surdité, atteinte rénale, troubles endocriniens ou autres, doit faire suspecter une dystrophie rétinienne.

Antécédents familiaux
La baisse de la vue à un âge précoce en famille (ou même un diagnostic déjà établi) oriente fortement vers une dystrophie maculaire. Il est important de lister en détail les apparentés atteints afin d’avoir une meilleure orientation vers le diagnostic et le mode de transmission possibles.

Principales dystrophies maculaires responsables d’une atrophie centrale avancée

Maladie de Stargardt
Au stade tardif, il n’est pas toujours facile de distinguer entre Stargardt [4] et DMLA. C’est la dystrophie maculaire la plus fréquente. Le mode de transmission est essentiellement autosomal récessif (ABCA4). La triade clinique classique est une atrophie maculaire (parfois en œil-de-bœuf) + flecks postérieurs qui peuvent s’étendre à la moyenne périphérie, hyper-autofluorescents à l’autofluorescence + une épargne péripapillaire.

Il existe plusieurs stades cliniques et électrophysiologiques. La baisse de la vue commence vers l’enfance ou l’adolescence (parfois sans signes cliniques).
L’atrophie maculaire est marquée aux stades tardifs (figure 1).

Maladie de Best
La maladie de Best [5] est une dystrophie vitellifrome à transmission autosomale dominante (BEST1 le plus fréquent). L’acuité visuelle est relativement bien conservée pendant l’adolescence. Il existe plusieurs stades cliniques évoluant jusqu’à l’atrophie centrale aux stades tardifs (figure 2).

Atrophie choriorétinienne aréolaire centrale
C’est une dystrophie choriorétinienne à transmission autosomale dominante (PRPH2), responsable d’une baisse de l’acuité visuelle et d’une atrophie centrale à un âge précoce [6].

Elle est fortement bilatérale et symétrique. Notons que l’on peut retrouver des drusen associés. On la distingue de la DMLA surtout par des symptômes plus précoces ainsi que le caractère héréditaire souvent présent (figure 3).

Maternally inherited deafness and diabetes (MIDD)
C’est une dystrophie à transmission mitochondriale (m.3243A>G) [7]. Les symptômes apparaissent aux alentours de 30-40 ans. Cela commence par des patchs d’atrophie et des altérations de l’épithélium pigmentaire pattern-like, qui confluent avec le temps pour donner une atrophie maculaire étendue aux stades tardifs. Elle est associée au diabète et à une surdité neurosensorielle, d’où l’importance d’un bon interrogatoire (figure 4).

Autres
Dystrophie de Pattern : les symptomes apparaissent assez tardivement (50 ans) ; la transmission est autosomale dominante (PRPH2), avec une grande hétérogénéité clinique : réticulée, en aile de papillon, simulant Stargardt, fundus pulverulentus.
Drusen du sujet jeune pouvant, à des stades tardifs, évoluer vers une atrophie centrale, notamment la Malattia leventinese (EFEMP1) : drusen confluents en nid d’abeille en région maculaire et péripapillaire.
Dystrophies vitelliformes de l’adulte pouvant évoluer aux stades avancés vers l’atrophie maculaire.
EMAP (Extensive Macular Atrophy with Pseudodrusen) : une entité décrite récemment, à cheval entre génétique, dégénératif et environnemental. L’atrophie est plutôt d’axe vertical, rapidement évolutive, associée à des pseudo-drusen et parfois des lésions pavimenteuses en périphérie. Curieusement, les patients atteints sont presque exclusivement des Français nés entre 1946 et 1949.
Maladies colobomateuses (North Carolina, colobome héréditaire).
Dystrophie des cônes : la baisse de l’acuité visuelle est précoce, avec une altération de la vision des couleurs ainsi qu’une photophobie bien marquées. L’atrophie des couches externes est bien visible à l’OCT mais souvent pas trop étendue.

Conclusion

De multiples dystrophies maculaires peuvent donner un tableau d’atrophie centrale assez avancée. La distinction avec l’atrophie géographique de la DMLA n’est pas toujours évidente, surtout si la découverte est tardive.
L’interrogatoire détaillé (âge, symptomatologie, antécédents personnels et familiaux) reste une étape cruciale.
Il est fortement recommandé d’utiliser le grand arsenal diagnostique dont nous disposons, entre rétinophotos, autofluorescence, OCT, électrophysiologie ainsi que le bilan génétique pour une meilleure évaluation et une meilleure prise en charge de la maladie et du patient.

Références bibliographiques
[1] Keenan TD, Cukras CA, Chew EY. Adv Age-related macular degeneration: Epidemiology and clinical aspects. Adv Exp Med Biol. 2021;1256:1-31.
[2] Saskens NT, Fleckenstein M, Schmitz-Valckenberg S et al. Macular dystrophies mimicking age-related macular degeneration. Prog Retin Eye Res. 2014;39:23-57.
[3] Rahman N, Georgiou M, Khan KN, Michaelides M. Macular dystrophies: clinical and imaging features, molecular genetics and therapeutic options. Br J Ophtalmol. 2020;104(4):451-60.
[4] Tsang SH, Sharma T. Stargardt disease. Adv Exp Med Biol. 2018; 1085:139-51.
[5] Tsang SH, Sharma T. Best vitelliform macular dystrophy. Adv Exp Med Biol. 2018;1085:79-90.
[6] Boon CJ, Klevering BJ, Cremers FP. Central areolar choroidal dystrophy. Ophthalmology. 2009;116(4):771-82, 782.e1.
[7] Tsang SH, Aycinena AR, Sharma T. Mitochondrial disorder: Maternally inherited diabetes and deafness. Adv Exp Med Biol. 2018; 1085:163-5.

Auteurs

  • Mohamad Issa

    Ophtalmologiste

    Hôpital Lariboisière ; Hôpital Fondation Ophtalmologique A. de Rothschild.

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