Recouvrement conjonctival, le geste qui sauve ?

Le recouvrement conjonctival est une procédure chirurgicale qui soulage des patients présentant des pathologies cornéennes avec un pronostic visuel réservé. Cette ­pratique, décrite depuis la fin du XIXe siècle, a été popularisée par Gundersen en 1958. De moins en moins utilisée, elle permet cependant de préserver le globe oculaire et de ­limiter les ­douleurs chez des patients à bout de solutions thérapeutiques, médicales ou chirurgicales.

Intérêt

La pratique du recouvrement conjonctival a fortement diminué dans les pays développés, face à l’amélioration des traitements par collyres anti-infectieux, l’utilisation de lentilles adaptées, de biomatériaux (en premier lieu de membrane amniotique) et l’amélioration des procédures chirurgicales avec notamment le perfectionnement des techniques de greffe. Mais ces procédures peuvent être mises en défaut devant des atteintes cornéennes sévères amenant à des yeux douloureux sans pronostic visuel. Dans cette indication, le recouvrement conjonctival peut trouver sa place en diminuant les douleurs tout en conservant le globe oculaire. En effet, d’une part de manière mécanique, la cornée se retrouve protégée par la conjonctive des agressions extérieures, ce qui permet de retrouver un épithélium cornéen stable. De plus, l’importante vascularisation conjonctivale au contact de la cornée lésée offre un riche apport en cellules anti-inflammatoires et en facteurs de croissance.

Indications

Les indications du recouvrement conjonctival peuvent être variées dans le cas d’une atteinte cornéenne sévère et non contrôlée. La plus fréquente est la persistance d’un ulcère chronique résistant aux différentes lignes de traitement médical ou chirurgical. Grâce à la cicatrisation par un lambeau conjonctival, le risque de surinfection et de perforation est grandement diminué, permettant d’éviter une chirurgie mutilante probable.
Les kératites herpétiques stromales profondes et les kératopathies bulleuses sont également des indications classiques, en apportant un épithélium stable régulier.
L’utilisation du recouvrement conjonctival dans les infections bactériennes ou fongiques peut être discutée, le risque d’infection secondaire du greffon pouvant entraîner une perforation de celui-ci. Néanmoins, plusieurs études confirmeraient l’efficacité dans cette indication.
Le recouvrement conjonctival peut également être ­réalisé pour préparer le lit d’une lentille sclérale cosmétique.
L’intérêt du recouvrement conjonctival dans les atteintes cornéennes auto-immunes reste sujet à discussion. Comme nous l’avons vu précédemment, la cornée est en contact direct avec la circulation sanguine conjonctivale, mettant ainsi en contact les antigènes du stroma ­cornéen avec un grand nombre de cellules de l’inflammation et d’anticorps circulants. Cela pourrait aggraver des lésions auto-immunes préexistantes, mais peu de cas ont été décrits et de bons résultats ont été retrouvés dans le cadre de certaines pathologies.

Procédure chirurgicale

Le recouvrement conjonctival tel que décrit par Gundersen consiste à réaliser, sous anesthésie locale ou générale, un lambeau conjonctival bipédiculé, secondairement fixé à la cornée.
Pour effectuer cette chirurgie, il est donc nécessaire d’avoir une conjonctive en quantité suffisante afin que le recouvrement soit total et sans traction, et de bonne qualité pour éviter les ulcérations ou perforations secondaires du lambeau.

La première partie de la chirurgie consiste à disséquer la conjonctive supérieure de la tenon sur une largeur d’environ 3 cm, en commençant près du cul-de-sac conjonctival au fornix supérieur à une distance d’au moins 14 mm du limbe supérieur. Pour faciliter la dissection, un fil de traction peut être utilisé. Une injection sous-conjonctivale de sérum physiologique ou d’anesthésiant peut aider à ­guider la dissection en séparant la conjonctive de ses adhérences ténoniennes. La dissection est ensuite poursuivie jusqu’au limbe supérieur. Une fois ce lambeau conjonctival réalisé, la dissection conjonctivale est ­continuée sur 360° en partant du limbe, puis le lambeau conjonctival pédiculé est placé et suturé à la cornée au niveau du limbe par des fils de monofilament 10/0. Enfin, la dernière partie consiste à suturer la conjonctive par des fils résorbables (figures 1 et 2). Un traitement local par antibiotique et anti-inflammatoire est appliqué dans les suites opératoires.

Pour obtenir un bon recouvrement conjonctival, il est nécessaire de disséquer entièrement la conjonctive de la tenon. En effet, une persistance d’adhérence conduirait à une rétraction spontanée du lambeau. Il est également nécessaire de désépithélialiser la cornée dans son ensemble pour permettre au tissu conjonctival de cicatriser efficacement à la cornée.
Cette technique présente cependant des inconvénients : le fait de recouvrir entièrement la cornée diminue l’accès à l’évaluation de l’œil par la suite, et la survenue d’un ptosis est possible. Sur le plan esthétique, le ­recouvrement conjonctival entraîne une opacification complète de la cornée. La baisse de la vision est attendue en postopératoire mais ne représente pas le problème principal chez les patients présentant des cornées très pathologiques avec un pronostic limité. A contrario, différentes études mettent en avant le fait qu’une amélioration de l’acuité visuelle est possible, notamment dans des cas de recouvrement partiel, mais également dans quelques cas de recouvrement total.

Différentes variantes à cette technique ont été dévelop­pées par la suite, comme la réalisation d’un lambeau bipédiculé selon la technique de Gundersen, mais recouvrant seulement la cornée sur 180°, fixé au limbe et permettant de traiter des lésions centrales. Il est également possible de réaliser des lambeaux unipédiculés, en forme de raquette, pour traiter des lésions périlimbiques (figure 3).

Complications possibles

Les principales complications pouvant survenir sont représentées par les rétractions ou les déhiscences du greffon. Comme nous l’avons vu précédemment, celles-ci peuvent être le plus souvent évitées si on opère des patients avec une conjonctive saine.
La bonne gestion peropératoire des sutures est essentielle. En effet, des sutures trop tendues pourraient générer des déchirures et, à l’inverse, des sutures trop lâches pourraient ne pas permettre une bonne cicatrisation du greffon à la cornée.
La survenue de kystes épithéliaux est possible, nécessitant une ablation chirurgicale.
Enfin comme mentionné plus haut, des cas de ptosis ont été décrits.

Conclusion

Le recouvrement conjonctival est une procédure chirurgicale simple, efficace, avec peu de complications et ne nécessitant pas de matériel particulier pour la prise en charge de pathologies cornéennes évoluées.
Bien que délaissée au profit d’autres techniques, cette procédure représente une alternative en permettant d’agir rapidement et efficacement sur des douleurs, de conserver une anatomie oculaire satisfaisante et d’évaluer des chirurgies plus mutilantes.

Pour en savoir plus
Gundersen T. Conjunctival flaps in the treatment of corneal disease with reference to a new technique of application. AMA Arch Ophthal­mol. 1958;60(5):880-8.
Zemba M, Stamate AC, Petru Tataru C et al. Conjunctival flap surgery in the management of ocular surface disease (Review). Exp Ther Med. 2020;20(4):3412-6.
Oostra TD, Mauger TF. Conjunctival flaps: a case series and review of the literature. Eye Contact Lens. 2020;46(2):70-3.
Yao Y, Jhanji V. Conjunctival flap cover surgery: 10-year review. Annals of Eye Science. 2017;2(5).
Boidin G, Gueudry J, Portmann A, Muraine M. [Conjunctival flap: Still a relevant procedure]. J Fr Ophtalmol. 2012;35(3):170-5.

Auteurs

  • Thibault Andres

    Ophtalmologiste

    CHU de Bordeaux ; unité cataracte, chirurgie réfractive, cornée

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