Techniques d’explantation des implants intraoculaires
Plusieurs circonstances peuvent amener à remplacer un implant intraoculaire posé à l’occasion de la chirurgie de la cataracte : il s’agit le plus souvent de situations particulières dans lesquelles le patient ressent souvent une angoisse quant à une reprise chirurgicale. Une information spécifique et loyale, avec les risques inhérents à ce type d’intervention, doit être présentée objectivement au patient avant le geste, en évitant toutefois de l’inquiéter outre mesure.
Étiologies
Elles concernent tout d’abord les cataractes opérées sans complications :
- erreur de puissance d’implant – dans ce cas, l’échange d’implant est proposé précocement, avant la fibrose capsulaire ;
- vision brouillée sur implant multifocal [1] ;
- présence de dysphotopsies gênantes [2] : même si d’autres techniques ont été proposées – pose d’un implant additionnel de puissance neutre en piggy-back dans le sulcus, ou rotation à 90° de l’implant –, quelques cas relèvent de l’échange d’implant pour placer dans le sac un implant à design différent ;
- opacification de l’optique d’un implant ;
- intolérance à la multifocalité : rare, inférieure à 1% des cas, en l’absence de toute autre anomalie telle qu’une amétropie résiduelle, un mauvais centrage d’implant ou une opacité de la capsule postérieure.
Dans les cas de cataractes compliquées, on distingue ceux avec mauvaise position de l’implant seulement :
- rupture de la capsule postérieure au cours de la chirurgie initiale avec présence éventuelle de vitré en chambre antérieure et subluxation postérieure de l’implant avec risque de luxation dans la loge vitréenne ;
- capsule postérieure préservée, mais implant en position in/out, c’est-à-dire une haptique dans le sac et l’autre dans le sulcus : lors de la fibrose capsulaire, il se produit immanquablement un décentrement, responsable d’une gêne visuelle avec astigmatisme lenticulaire, de dysphotopsies et de difficultés à utiliser la multifocalité le cas échéant ;
- présence d’un syndrome UGH (uvéïte-glaucome-hémorragie) lié à une irritation iridociliaire d’un implant, partiellement dans le sulcus ;
- rarement déclippage d’un implant clippé à la face antérieure ou postérieure de l’iris.
S’il s’agit d’une anomalie de position du complexe sac et implant, dans 95% des cas l’abord chirurgical peut être fait par voie antérieure [3]. Ces situations peuvent survenir par traumatisme : désinsertion traumatique avec déplacement antérieur ou postérieur de l’implant et du sac, avec risque endothélial et hypertonie sur subluxation antérieure du sac et risque de luxation de l’ensemble dans la loge vitréenne dans le cas d’une subluxation postérieure. Il peut aussi s’agir d’un déplacement secondaire du sac avec implant sur pathologie zonulaire évolutive : les principales étiologies en sont la pseudo-exfoliation capsulaire, le syndrome de Marfan, la forte myopie, volontiers sur fond de vitrectomie postérieure [4].
Enfin est à part la déplétion endothéliale sur implant de chambre antérieure faisant suite à une rupture de capsule postérieure : l’échange d’implant a alors pour but d’éviter la décompensation lorsque la surveillance régulière par microscopie spéculaire montre une diminution de la densité endothéliale.
Examens préopératoires
Outre l’examen ophtalmologique habituel avec l’acuité visuelle ou l’étude de la réfraction, l’acuité au trou sténopéïque, il y a lieu de considérer l’état de la pupille, avec d’éventuelles anomalies qui pourraient requérir un geste associé, de type pupilloplastie.
L’examen spéculaire de la cornée est systématique en raison de la possibilité d’une faiblesse endothéliale qui a pu être provoquée par le geste chirurgical initial ou par un frottement intempestif de l’implant contre la cornée dans les déplacements antérieurs.
Une OCT maculaire est systématique. L’examen complet du fond d’œil relève l’absence de lésions fragiles de la périphérie rétinienne.
Une gonioscopie est indispensable avant l’ablation d’un ICA, à la recherche d’éventuelles goniosynéchies autour des haptiques ; elle permet parfois de visualiser le passage de l’anse supérieure à travers l’iridectomie supérieure.
Il est utile de disposer du modèle et de la puissance de l’implant posé et de pratiquer, le cas échéant, un calcul d’implant biométrique de type optique en mode pseudophake.
Chirurgie
Nous décrirons tout d’abord les gestes de base avant de décrire les procédures des principales situations cliniques.
Nous pratiquons le plus souvent une incision cornéenne supérieure d’environ 3 mm (figure 1), agrandie au besoin en mesure selon le modèle d’implant à placer ou la difficulté d’extraire l’ensemble du sac dans certains cas ; deux incisions de service, l’une en nasal, l’autre en temporal, de moins de 1 mm sont également pratiquées. L’usage de produits viscoélastiques est systématique (viscochirurgie) (figure 2), renouvelé régulièrement au besoin ; il s’agit d’un instrument chirurgical extrêmement utile, d’une part pour la protection endothéliale, et d’autre part pour une dissection atraumatique des espaces capsulaires, pour isoler d’éventuels matériels cristalliniens résiduels et empêcher leur dispersion éventuelle dans le vitré, et pour compléter l’ouverture pupillaire de façon localisée. Outre l’usage de la substance viscoélastique, il est souvent nécessaire de disséquer les adhérences entre le sac et l’implant à la spatule et/ou au micromanipulateur (figure 3), le plus doucement possible et en gardant à l’esprit que les forces utilisées doivent toujours être inférieures au seuil de résistance de la zonule pour éviter la rupture de celle-ci. Il faut au besoin utiliser 2 micromanipulateurs : l’un pour disséquer, le second pour limiter les tractions zonulaires. Pour certains gestes de découpe capsulaire, et notamment pour élargir le capsulorhexis (figure 4), on utilise volontiers les microciseaux à rétine ou de Vannas sous protection de viscoélastique avec un travail parfois bimanuel en s’aidant de la pince à capsulorhexis (figure 5). Dans ce même cadre, ces instruments peuvent être utilisés pour disséquer (figure 6) et découper si nécessaire (figure 7) une fibrose située sous la capsule antérieure ou les haptiques situées à l’équateur du sac cristallinien en sachant que le niveau d’adhérence est variable et qu’en cas de forte adhérence il est préférable de sectionner une haptique périphérique dans le sac plutôt que de risquer une rupture zonulaire [5].
La vitrectomie antérieure est d’usage systématique dans le cas d’une rupture capsulaire et/ou zonulaire : elle doit être prête dès le début de l’intervention, est effectuée de façon bimanuelle, le plus souvent par une aspiration avec coupe sans irrigation au départ, laquelle est mise en place seulement après quelques secondes de coupe pour éviter une issue vitréenne. La section d’un implant (figure 8) est souvent réalisée pour permettre de le sortir de l’œil par une incision la plus réduite possible : il existe des ciseaux spécifiques à cet usage, relativement coûteux ; sinon on travaille de façon bimanuelle avec un crochet de Lester pour tenir l’extrémité de l’implant et on utilise des ciseaux de Vannas pour sectionner l’optique. Concernant les implants hydrophobes, il est possible de les replier dans l’œil (figure 9) en utilisant alors un micromanipulateur placé sous l’optique de l’implant, que l’on aura au préalable luxé en chambre antérieure, puis une pince à plier, avant d’effectuer une rotation de 90° pour sortir l’implant par l’incision d’environ 3 mm.
Principales situations cliniques
Dans le cas relativement simple d’un échange précoce d’un implant situé dans le sac, on peut rouvrir l’incision initiale et passer doucement du viscoélastique entre le capsulorhexis et le bord de l’optique de l’implant afin de décoller doucement la capsule postérieure de la face postérieure de l’implant. Ensuite, à l’aide d’un micromanipulateur, on luxe l’implant en chambre antérieure avant de l’extraire par l’incision supérieure, soit en l’ayant coupé en 2, soit en l’ayant replié s’il est composé d’acrylique hydrophobe.
En cas d’extraction tardive d’un implant dans le sac, le travail de dissection est beaucoup plus important et doit être soigneux. Il est le plus souvent possible de disséquer assez facilement l’optique. Les haptiques peuvent être plus engainées et difficiles à disséquer et – s’il y a un risque zonulaire majeur (figure 10) –, elles seront donc sectionnées comme indiqué précédemment. Si la capsule postérieure a été ouverte préalablement par laser Nd-Yag, il convient d’effectuer une vitrectomie antérieure.
Concernant la réimplantation, si la capsule postérieure est toujours présente et si le sac est bien rouvert, on peut y placer un nouvel implant. Si la réouverture du sac est incomplète, il est préférable de placer le nouvel implant dans le sulcus. De même, dans le cas d’une ouverture capsulaire, la nouvelle implantation se fera le plus souvent dans le sulcus, compte tenu des risques trop élevés de luxation postérieure du nouvel implant si on essaie de le placer dans le sac.
Dans les cas de subluxation du complexe sac-implant : dès l’ouverture cornéenne et la mise en place de viscoélastique en chambre antérieure, il faut tout faire pour éviter la luxation complète et donc saisir au plus vite l’implant ou la capsule avec divers instruments (micromanipulateur, pince de Bonn, pince à capsulorhexis), et luxer rapidement l’ensemble en chambre antérieure avant de procéder à l’extraction. Si des brides vitréennes sont présentes, il convient de les couper à sec immédiatement pour éviter d’éventuelles tractions sur la base du vitré, susceptibles de favoriser un décollement de rétine rhegmatogène. Dans certains cas, et en l’absence d’anneau de Soemmering épais, la refixation du sac soit à l’iris soit à la sclère est possible. Lorsque le toilettage vitréen est terminé, on doit opter pour la pose d’un implant secondaire qui peut être clippé à la face postérieure (figures 11 et 12) ou antérieure de l’iris, ou à fixation intrasclérale (implant Carlevale), ou encore suturé à la sclère.
Lorsqu’on est en face d’un implant décentré dans un sac qui reste centré, il s’agit le plus souvent d’une implantation in/out : si la situation est vue précocement, on peut rouvrir le sac avec le produit viscoélastique et replacer la deuxième haptique dans le sac. Dans le cas d’une reprise tardive sur un sac fibrosé, il est nécessaire de disséquer l’anse située dans le sac, d’extraire l’implant qui n’est pas adapté à une situation dans le sulcus, pour placer un implant à 3 pièces dans le sulcus si le support capsulaire est suffisant. Si ce n’est pas le cas, il faut préférer un autre moyen de fixation (iris ou sclère). En effet, le maintien d’un implant monobloc de sac dans le sulcus favorise l’irritation ciliaire, avec un risque important de syndrome UGH, parfois d’œdème maculaire ou de glaucome pigmentaire secondaire vrai.
Enfin, l’explantation d’un implant de chambre antérieure devra faire prendre le maximum de précautions vis-à-vis de l’endothélium cornéen, avec un usage copieux de produit viscoélastique. En présence de synéchies angulaires étendues autour d’une anse, il est naturellement préférable de sectionner celle-ci, tant pour limiter les manœuvres dangereuses pour la cornée que pour éviter la survenue d’une hémorragie parfois massive dans la chambre antérieure.
Conclusion
L’échange d’un implant doit toujours être mis en balance avec un repositionnement avec refixation dans le cas d’un déplacement secondaire [6]. C’est un geste délicat, qui peut néanmoins être préférable dans diverses situations. Outre une prise en charge chirurgicale rigoureuse, un suivi régulier est nécessaire, compte tenu des risques de complication postopératoires plus élevés (décompensation cornéenne, décollement de rétine, œdème maculaire), qui peuvent requérir de nouveaux gestes spécifiques, ce dont il faut prévenir préalablement le patient [7].
Points clés
• Importance du bilan préopératoire : spéculaire cornéen, OCT maculaire et FO.
• Viscochirurgie : pour protéger, pour disséquer.
• Gestes doux, éviter la luxation postérieure complète de l’implant et/ou du sac.
• Implants déplacés : rediscuter la refixation avant l’échange.
• Le nouvel implant : si impossible dans le sac, préférer, dans l’ordre, le sulcus, la fixation irienne ou sclérale, l’implant de chambre antérieure.
Références bibliographiques
[1] Gibbons A, Ali TK, Waren DP, Donaldson KE. Causes and correction of dissatisfaction after implantation of presbyopia-correcting intraocular lenses. Clin Ophthalmol. 2016;10:1965-70.
[2] Henderson BA, Geneva II. Negative dysphotopsia: A perfect storm. J Cataract Refract Surg. 2015;41(10):2291-312.
[3] Hayashi K, Ogawa S, Manabe SI et al. A classification system of intraocular lens dislocation sites under operating microscopy, and the surgical techniques and outcomes of exchange surgery. Graefes Arch Clin Exp Ophthalmol. 2016;254(3):505-13.
[4] Kavuncu S, Omay AE, Tirhis MH, Yilmazbas P. Surgical indications and clinical results of patients with exchanged intraocular lenses in a tertiary eye hospital. Turk J Ophthalmol. 2016;46(4):156-60.
[5] Lee MH, Webster DL. Intraocular lens exchange-removing the optic intact. Int J Ophthalmol. 2016;9(6):925-8.
[6] Kristianslund O, Råen M, Østern AE, Drolsum L. Late in-the-bag intraocular lens dislocation: A randomized clinical trial comparing lens repositioning and lens exchange. Ophthalmology. 2017;124(2): 151-9.
[7] Amzallag Th, Rozot P. Chirurgie de la cataracte (e-book). Paris: Elsevier Masson. 2018;384 p. ISBN: 9782294757372| EISBN: 9782294757938.