Toxicité des AINS sur la cornée, à la suite d’une chirurgie de la cataracte

Les collyres AINS (anti-inflammatoires non stéroïdiens) restent la référence dans la prévention de l’inflammation et l’œdème maculaire faisant suite à une chirurgie de la cataracte. Cependant, de rares cas de perforation cornéenne sur terrain particulier ont été décrits.

Observation
Nous rapportons le cas de Mme M., âgée de 88 ans, suivie depuis plus de 30 ans pour un syndrome de Goujerot-Sjögren compliqué d’une kératite sèche traitée par substituts lacrymaux seuls. Elle ne présente pas de diabète ni d’atteintes systémiques associées.
La patiente consulte pour la première fois au CHU de Bordeaux dans le cadre des urgences ophtalmologiques dans les suites postopératoires d’une chirurgie de la cataracte à J10 du premier œil (OG) et J3 du second (OD).
Les comptes rendus opératoires ne révèlent aucune ­difficulté particulière.
Mme M. décrit une baisse de vision progressive, associée initialement à une sensation de corps étrangers, une photophobie puis des douleurs de l’œil gauche depuis 2 jours.
Son traitement postopératoire consiste en chibro cadron collyre x 6/j et indocollyre x 3/j dans les 2 yeux.
Elle rapporte une reprise chirurgicale en urgence la veille.
À l’examen, l’acuité visuelle (AV) est limitée à « compte les doigts » (CLD) à droite et « voit bouger la main » (VBLM) à gauche.
L’examen en lampe à fente révèle :
- à l’œil droit, un ulcère non perforé de 2,5 mm sur 5,5 mm, associé à un œdème de cornée périlésionnel ;
- à l’œil gauche, un ulcère perforé avec points de sutures non enfouis, une athalamie, sans signe de Seidel.

L’examen du fond d’œil est inaccessible. L’échographie en mode B ne retrouve pas d’argument pour une inflammation du segment postérieur. Un examen OCT de segment antérieur est réalisé (figure 1).

Discussion
Cette patiente présente donc un tableau de décompensation cornéenne grave, aiguë, bilatérale, en postopératoire précoce d’une chirurgie de phakoémulsification. Cette complication grave survient chez cette patiente dans un contexte de syndrome de Goujerot connu et d’un traitement postopératoire présentant un AINS topique, qui sont contre-indiqués dans ce cas.
Dans un premier temps, une hospitalisation en urgence est décidée, avec arrêt des collyres AINS et reprise des sutures cornéennes (figure 2). Un traitement lubrifiant intensif associé à une corticothérapie locale a également été instauré. Dans un second temps, il a été réalisé une kératoplastie transfixiante « bouchon » de petit diamètre associée à une GMA overlay (figures 3 et 4).
La ciclosporine 2% est introduite dès cicatrisation du greffon.

L’évolution retrouve une AV à M2, limitée à 1,6/10 P14 pour l’œil droit (en lien avec une taie cornéenne avec persistance d’une KPS dense) ; l’AV gauche est inférieure à 1/10 P28 avec une KT bouchon en place.
Devant cette complication rarissime, mais gravissime, avec un retentissement visuel à long terme important, il convient de rappeler la contre-indication absolue aux AINS topiques dans les syndromes secs associés au Gougerot.
Pour rappel, le syndrome de Goujerot-Sjögren est caractérisé par un désordre inflammatoire chronique, en lien avec une dysfonction des glandes exocrines et une atteinte systémique variable, majoritairement une xéropthalmie et une xérostomie par infiltration lymphocytaire des glandes lacrymales et salivaires. Du fait de l’atteinte systémique, les syndromes secs en lien avec un .syndrome de Goujerot ont tendance à être plus sévères et plus difficiles à traiter, comparés aux syndromes secs oculaires isolés.

Comment expliquer et éviter cette complication ?
Tous les AINS possèdent des propriétés communes : anti-inflammatoires, antalgiques, antipyrétiques et antiagrégants plaquettaires.
Les AINS inhibent la formation des prostaglandines pro-inflammatoires vasodilatatrices ainsi que la cyclo-oxygénase. Les mécanismes au niveau cornéen restent peu clairs mais il existe une diminution de la sensibilité cornéenne associée à une baisse de la prolifération épithéliale, avec un retard de cicatrisation entraînant des ulcères graves pouvant aller jusqu’à la perforation.
De ce fait, il faut dépister les patients à risque de décompensation cornéenne grave et prescrire la posologie la plus faible possible pour une durée la plus courte possible.

Rappel sur les indications
Les indications reconnues des AINS locaux en ophtalmologie sont principalement :
- périopératoires ;
- prévention et traitement de l’inflammation après une chirurgie du segment antérieure ;
- prévention et traitement de l’œdème maculaire cystoïde du pseudophaque ;
- prévention et de l’inflammation après laser YAG.
Dans le cas d’un syndrome de Goujerot, il convient de ne pas prescrire d’AINS topiques quelle que soit l’indication. La chirurgie de la cataracte doit être espacée de 1 mois minimum pour permettre une bonne cicatrisation du premier œil avant d’envisager la chirurgie du second.

Pour en savoir plus
Murtagh P, Comer R, Fahy G; Cornela perforation in undiagnosed Sjögren’s syndrome following topical NSAID and steroid drops post routine cataracte extraction. BMJ Case Rep. 2018;2018: bcr2018225428.
Tu PN, Hou Y. Bilateral corneal melting associated with topical diclofenac 0.1% after cataract surgery in a patient with Sjögren’s syndrome. Taiwan J Ophthalmol. 2019;9(3):202-5.
Aragona P, Di Pietro R, Is it safe to use topical NSAID for corneal sensitivity in Sjogren’s syndrome patients? Expert Opin Drug Saf. 2007;6(1):33-43.
Rigas B, Huang W, Honkanen R. NSAID-induced corneal melt : clinical importance, pathogenesis and risk mitigation. Surv Ophthalmol. 2020;65(1):1-11.

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