Traitement local des uvéites postérieures

L’utilisation de la voie locale est en plein essor dans le traitement des uvéites postérieures. En effet, elle présente plusieurs avantages tels qu’une concentration dans l’humeur aqueuse et le vitré bien supérieure à la voie générale, une moindre diffusion systémique et le respect de la posologie indépendamment de l’observance du patient.
La voie locale est particulièrement intéressante dans les formes unilatérales ou asymétriques d’uvéite sans manifestation extraoculaire associée, chez les patients bénéficiant déjà d’un traitement systémique lourd mais qui s’est révélé insuffisant, et lors d’une contre-indication au traitement par voie générale.
Les principales voies d’administration locales possibles sont l’injection sous-conjonctivale, sous-ténonienne et intravitréenne (IVT). Plusieurs médicaments sont alors disponibles en fonction de l’étiologie et des caractéristiques de l’inflammation oculaire.
Anti-infectieux
Tout d’abord, l’IVT de clindamycine semble efficace dans le traitement de la rétinochoroïdite toxoplasmique. Elle est notamment intéressante chez la femme enceinte ou dans le cas d’une allergie au traitement général. Il est important de respecter la posologie de l’injection (0,5 ml [0,1 mg] de clindamycine), compte tenu de la potentielle toxicité rétinienne. L’IVT peut être suivie d’un traitement anti-inflammatoire. Les IVT d’antiviraux (ganciclovir, foscavir) associées à un traitement systémique sont indiquées dans les formes sévères de rétinite virale. Enfin, les IVT d’antibiotiques (vancomycine, ceftazidime) et d’antifongiques (amphotéricine B) sont indiquées dans le traitement des endophtalmies bactériennes et fungiques, respectivement.
Anti-VEGF
L’IVT d’anti-VEGF en urgence est le traitement des néovaisseaux choroïdiens inflammatoires. Ces derniers étant très localisés, peu d’injections sont habituellement nécessaires, ce qui permet un suivi mensuel en PRN. Un traitement anti-inflammatoire optimal doit toujours être associé.
Corticothérapie
Pourquoi utiliser la corticothérapie locale ?
La corticothérapie est la base du traitement des uvéites non infectieuses. Avec une excellente biodisponibilité oculaire et un passage systémique faible, voire négligeable, la voie locale permet de restreindre les inconvénients de la corticothérapie générale tels que les effets indésirables systémiques potentiellement sévères, des règles hygiéno-diététiques importantes et une compliance du patient parfois mauvaise. Plus particulièrement, la corticothérapie intravitréenne d’action prolongée n’entraîne quasiment pas de passage systémique et permet d’obtenir des concentrations de corticoïdes plus élevées que celles des voies périoculaires [1].
Les principaux effets indésirables de la corticothérapie locale sont l’hypertonie oculaire (HTO), dans 10 à 30% des cas, et une cataracte induite. Ainsi, on évitera son utilisation en présence d’une HTO et/ou d’un glaucome non contrôlé ou nécessitant plus de 1 traitement, ainsi que chez le sujet jeune avec un cristallin clair.
La place de la corticothérapie locale dans les uvéites non infectieuses a été précisée dans une publication française : inflammation unilatérale ou asymétrique sans manifestation extraoculaire associée, contre-indications aux traitements systémiques, atteinte réfractaire et œdème maculaire (figure 1) [1].
Traitement de l’uvéite postérieure non infectieuse active
Tout d’abord la triamcinolone (Kenacort®) est disponible en voie sous-ténonienne (1 ml [40 mg] d’acétonide de triamcinolone), sous-conjonctivale (0,2 à 0,4 ml [8 à 16 mg] d’acétonide de triamcinolone), et plus rarement par IVT en raison du risque de rétinotoxicité de l’alcool benzylique présent dans le Kenacort®. Les principales données de la littérature évoquent la bonne efficacité de la triamcinolone en voie périoculaire dans l’œdème maculaire inflammatoire chronique tant sur le plan anatomique que fonctionnel, avec peu de complications en dehors de l’élévation de pression intraoculaire dans 12 à 20% des cas [2].
L’implant d’Ozurdex®, dispositif intravitréen biodégradable libérant de la dexaméthasone pendant une durée théorique de 6 mois, a reçu l’AMM en 2012 pour le traitement des uvéites postérieures non infectieuses. En effet, l’étude HURON a retrouvé une amélioration significative de la hyalite et de l’épaisseur maculaire au deuxième mois, et de l’acuité visuelle (AV) de la troisième à la vingt-sixième semaine [3]. L’étude RUVDEX a permis de confirmer ces résultats en condition de vraie vie avec un gain d’AV moyen de 12 lettres, respectivement 55 et 64% de répondeurs fonctionnels et anatomiques ; enfin, parmi les 28% des yeux avec une HTO induite, l’ajout d’un traitement hypotonisant topique était suffisant dans 100% des cas [4].
La triamcinolone en voie locale et l’injection d’Ozurdex® ont été comparées pour le traitement des uvéites postérieures. Tout d’abord dans l’étude POINT, l’injection sous-ténonienne de triamcinolone était efficace à un niveau moindre et provoquait moins d’hypertonie que l’IVT d’Ozurdex® [2]. Une autre étude récente a montré une efficacité similaire de l’injection sous-ténonienne de triamcinolone par rapport à l’Ozurdex®, avec un contrôle initial de l’inflammation légèrement moindre, autant d’HTO modérée (10%) et moins d’HTO supérieure ou égale à 35 mmHg (0 vs 4%). Plus récemment, l’étude française multicentrique TRIOZ a comparé l’efficacité et la tolérance des injections sous-conjonctivales de triamcinolone et des IVT d’Ozurdex® dans les œdèmes maculaires inflammatoires. Pour les uvéites postérieures, il n’y avait pas de différence en gain d’AV à 6 mois ni en risque d’HTO entre les 2 traitements, avec un meilleur vécu pour la triamcinolone et un coût moindre. On notait néanmoins une diminution plus importante et plus rapide en épaisseur maculaire pour l’IVT d’Ozurdex®. Ainsi, il est possible d’utiliser l’un ou l’autre des 2 médicaments pour le traitement d’une uvéite postérieure active en fonction des caractéristiques du patient, la triamcinolone étant notamment utile dans le cas d’une contre-indication à l’IVT d’implant (aphakie, grande iridotomie périphérique, implant à fixation irienne ou sclérale).
Traitement de la rechute des uvéites postérieures non infectieuses
La durée d’action ne dépassant pas 6 mois, les injections de triamcinolone et d’Ozurdex® ne sont qu’un traitement suspensif. En outre, ils ne permettent pas à eux seuls une prise en charge optimale des uvéites chroniques et/ou récurrentes puisqu’ils ne préviennent pas leur récidive. En effet, l’inflammation qui rechute et qui est ensuite traitée entraîne des dégâts rétiniens cumulatifs et une moins bonne récupération visuelle finale (figure 2). Il est donc nécessaire d’y associer un traitement préventif à longue durée d’action pour toute uvéite postérieure récidivante [5].
L’implant d’acétonide de fluocinolone (implant FAc, Iluvien®) est indiqué « en première intention dans la prévention de la rechute de l’uvéite non infectieuse récidivante affectant le segment postérieur de l’œil » (AMM en 2019, remboursement en 2022). Sa pharmacocinétique est différente de celle de l’implant de dexaméthasone. En effet, la dose de fluocinolone délivrée est plus faible mais maintenue sur une période de 36 mois, quand la dexaméthasone délivre rapidement une dose élevée qui va diminuer progressivement sur 3 mois. Ce n’est donc pas un traitement d’attaque mais de prévention, dont le but est de prolonger la période de rémission de l’inflammation. Dans l’étude pivotale portant sur 129 patients, le groupe traité par l’implant FAc présentait moins de récidives inflammatoires à 6 mois (respectivement 72,4% vs 9,5 pour les groupes implant FAc et contrôle, ce taux passant à 34,5% vs 2,4 à 36 mois), un allongement du délai médian avant la première récidive (657 jours vs 70,5 pour le groupe contrôle) et un taux plus faible de patients ayant recours à des traitements additionnels (57,5% vs 96,7 dans le bras contrôle), sans différence entre les 2 groupes pour l’HTO. En matière d’efficacité anatomique et fonctionnelle, l’implant FAc permet une amélioration significative de l’AV ainsi qu’une réduction et une stabilisation de l’épaisseur centrale de la rétine maintenues sur 36 mois [6]. Une étude de vraie vie réalisée sur 8 patients était en faveur de l’efficacité de l’implant FAc, avec 82% de patients ayant une inflammation inactive ou réduite à la fin de la période de suivi (8 à 42 mois) avec un profil de tolérance acceptable (9% d’augmentation > 10 mmHg de la PIO et aucune HTO sévère > 30 mmHg) [5].
Cependant, pour les pathologies où l’inflammation est à prédominance choroïdienne (rétinochoroïdite de Birdshot, ophtalmie sympathique, maladie de Vogt-Koyanagi-Harada), l’Iluvien® ne semble pas à lui seul garantir une rémission complète des lésions choroïdiennes visibles. Dans ces cas, un traitement additionnel systémique est nécessaire en présence d’une atteinte choroïdienne active.
En pratique, comment utiliser la corticothérapie locale dans les uvéites postérieures non infectieuses ?
Après une sélection du patient (tableau), et après avoir vérifié l’efficacité et l’absence d’HTO induite avec 1 ou 2 injections d’Ozurdex® préalablement, une IVT d’Iluvien® est indiquée 1 à 4 semaines après la dernière injection d’Ozurdex®. Un suivi trimestriel, notamment de la PIO, est indispensable. Si besoin, une nouvelle IVT d’Iluvien® est possible 2 ans après la première. Un traitement général doit être associé dans le cas d’une pathologie extraoculaire et ou choroïdienne associée (figure 3).
Conclusion
Les traitements locaux font désormais partie intégrante du traitement des uvéites postérieures. Une bonne sélection du patient et une surveillance stricte sont primordiales. Les principales limites sont l’absence de traitement de l’œil controlatéral et un effet plus limité dans le temps. Il faudra donc reconnaître les situations où un traitement par voie générale doit être associé.
Références bibliographiques
[1] Couret C, Ducloyer JB, Touhami S et al. Traitement des uvéites intermédiaires, postérieures et panuvéites non infectieuses. J Fr Ophtalmol. 2020;43(4):341-61.
[2] Thorne JE, Sugar EA, Holbrook JT et al. Periocular triamcinolone vs. intravitreal triamcinolone vs. intravitreal dexamethasone implant for the treatment of uveitic macular edema. Ophthalmology. 2019;126(2):283-95.
[3] Lowder C, Belfort R Jr, Lightman S et al. Dexamethasone intravitreal implant for noninfectious intermediate or posterior uveitis. Arch Ophthalmol. 2011;129(5):545-53.
[4] Mathis T, Cerquaglia A, Weber M et al. Uveitis treated with dexamethasone implant. Retina. 2021;41(3):620-9.
[5] Bodaghi B, Nguyen QD, Jaffe G et al. Preventing relapse in non-infectious uveitis affecting the posterior segment of the eye - evaluating the 0.2 μg/day fluocinolone acetonide intravitreal implant (ILUVIEN®). J Ophthalmic Inflamm Infect. 2020;10(1):32.
[6] Jaffe GJ, Pavesio CE. Effect of a fluocinolone acetonide insert on recurrence rates in noninfectious intermediate, posterior, or panuveitis: Three-year results. Ophthalmology. 2020;127(10):1395-404.