Trous maculaires de grande taille : comblement ou volet de limitante interne ?

La chirurgie des trous maculaires (TM) idiopathiques représente depuis 30 ans une indication chirurgicale de routine, les progrès de l’imagerie et des techniques chirurgicales permettant une fermeture dans l’immense majorité des cas, et une amélioration visuelle progressive mais définitive dans les cas fermés. Depuis la première description de Eckardt de l’utilisation du pelage de la membrane limitante interne (MLI) en 1997, faisant progresser le taux de fermeture des trous des 60% initiaux de Kelly et Wendel à plus de 90%, il n’y a plus de débat sur la technique de base. De nombreuses publications ont confirmé ce résultat, mettant aussi en avant l’avantage des colorants pour faciliter la dissection de ce pelage de MLI.

De nombreuses études ont permis d’établir le pronostic anatomique et celui qui ressort en premier est la taille du trou au moment de l’intervention. D’autres critères, plus discutés, peuvent s’y ajouter, comme sa forme et l’existence d’une traction associée, mais le diamètre est le seul facteur pronostic constant.
Sur le plan de la récupération visuelle, les choses sont plus complexes mais là encore, l’acuité visuelle (AV) au moment de la chirurgie est probablement le facteur le plus important : plus elle est basse au moment de l’intervention, moins la vison finale sera bonne.
Depuis 2013, la classification de l’étude internationale de la traction vitréo-maculaire sépare les trous maculaires en petits (diamètre inférieur à 250 µ), moyens (de 250 à 400 µ) et grands (au-delà de 400 µ). Cela correspondait, au moment de sa publication, aux résultats habituels de la chirurgie pour laquelle le taux de succès semblait diminuer brutalement pour les grands trous.
En 2018, une étude rétrospective britannique, la 5-Year Manchester Large Macular Hole Study, retrouvait une vraie différence dans le taux de fermeture à partir d’un diamètre de 650 µ, poussant à revoir la définition de grands trous à cette dimension.

Différentes techniques ont été décrites pour améliorer les résultats dans ces trous difficiles :
- le pelage de limitante interne « classique », éventuellement élargi jusqu’aux arcades vasculaires ;
- le comblement du trou par le lambeau de limitante interne disséqué, soit rabattu sans être complètement détaché, soit en étant complètement détaché de la rétine. Le lambeau de MLI couvrant le trou servirait de support à une prolifération venant des cellules de Müller ;
- l’utilisation d’une membrane amniotique (MA), soit glissée sous les bords du trou décollé, soit couvrant la surface du trou ;
- une greffe de rétine autologue prélevée en périphérie ;
- le comblement du trou par un concentré plaquettaire ;
- l’utilisation d’un lambeau de capsule antérieure chez les phakes opérés en chirurgie combinée ou de capsule postérieure chez les pseudophakes ;
- il a même été décrit un soulèvement de la rétine maculaire après un pelage de limitante interne, de façon à manipuler la rétine décollée en la rapprochant pour fermer le trou.
Cependant, toutes ces techniques publiées ne comportent que peu de cas et il est difficile de se faire une idée précise sur l’efficacité réelle de chacune et sur les résultats fonctionnels obtenus. En effet, si les résultats anatomiques sont le principal point d’intérêt des études, les résultats fonctionnels ne sont pas toujours mentionnés et peuvent être donnés, dans ce cas, soit en AV récupérée, soit en gain de lettres ou de lignes.

Cela est d’autant plus important que dans les techniques avec comblement du trou maculaire, les traumatismes de l’épithélium pigmentaire que pourraient induire les manipulations de tissus par le glissement sous le bord du trou maculaire soulevé peuvent rendre un résultat anatomique totalement inutile sur le plan fonctionnel, voire créer un scotome positif à la place du scotome négatif provoqué par le trou. 

L’indication des différentes techniques proposées est difficile à préciser, que ce soit de première intention pour un grand trou ou de seconde intention après l’échec d’une première tentative. Dans le cas d’un trou géant, l’abstention est d’ailleurs parfois la meilleure solution (figures 1 et 2).

Pelage extensif de la MLI

Une des premières études s’intéressant aux TM de plus de 700 µ semblait montrer une efficacité du pelage de la MLI jusqu’aux arcades temporales en obtenant la fermeture des 2 trous géants de l’étude. Cela semblait confirmer une première étude montrant qu’un diamètre de pelage de la MLI sur 2 diamètres papillaires était moins efficace que sur 4 diamètres papillaires dans les grands TM. Cette méthode semble avoir été négligée au profit des manipulations de la MLI mais il faut se souvenir qu’elle est simple, avec un taux de succès élevé, de première intention comme en reprise avec de bons résultats visuels.  

Les volets de MLI

La première publication de Michalewska décrivant l’utilisation de volets de MLI inversés en 2 moitiés rabattues dans le trou montrait des résultats intéressants, en retrouvant pour les grands trous traités de première intention un taux de fermeture de 98% vs 88% avec le pelage classique de la MLI dans une étude comparative. L’engouement pour cette technique a été à l’origine de nombreuses variations avec des volets en U, en V et même en W, chaque publication étant très optimiste mais sans comparaison avec les autres, contrairement à la publication princeps de Michalewska. Une autre modification décrite quelques années plus tard, toujours par Michalewska, fut l’utilisation d’un lambeau pédiculé de MLI, contrairement à la technique initiale où les 2 moitiés du lambeau étaient rabattues l’une sur l’autre en multicouche dans le trou. Cet aspect monocouche du lambeau pédiculé semblait esthétiquement plus propre sur l’OCT et peut-être avec un plus grand gain d’AV que la technique multicouche.
Pour les échecs d’une première intervention, la technique du lambeau pédiculé est souvent toujours possible : en agrandissant la taille de la dissection, on parvient souvent à détacher un morceau de MLI qu’il ne faut pas séparer complètement de la rétine afin de le rabattre sur le TM ouvert. Si la dissection ne permet pas de garder une attache du volet de MLI, mettre le lambeau libre dans le trou est difficile mais possible, obligeant souvent à couper momentanément l’infusion sous peine de voir s’envoler le fragment de MLI. La stabilisation du fragment peut aussi être faite en utilisant des viscoélastiques ou du perfluorocarbone liquide.
Cette unanimité sur la supériorité anatomique et fonctionnelle de la technique du lambeau de limitante interne inversé était cependant battue en brèche par 2 publications récentes ne retrouvant aucune différence dans des études prospectives et randomisées entre le pelage « simple » élargi de la MLI et le lambeau de MLI.

Utilisation d’un patch de membrane amniotique

S’inspirant des techniques utilisées pour le traitement des pertes de substance cornéenne, il semble que ce soit Rizzo en premier qui ait pensé à utiliser un patch de MA pour obturer les grands trous. Il semble avoir été démontré que la MA, née initialement chez le myope fort avec un but de comblement du trou pour éviter une récidive de décollement de rétine, a également un rôle trophique en donnant un support à la gliose provoquée par les cellules de Müller amenant à la fermeture du trou. Certaines études animales auraient également montré une colonisation de la surface de la MA par les photorécepteurs dans la technique initiale. Celle-ci consiste à glisser les bords du patch de MA sous les bords d’un trou largement décollé (figures 3 a, b et c), permettant ainsi de garder en place le patch pendant l’injection du tamponnement final, que ce soit du gaz ou de l’huile de silicone. Cette technique est probablement plus traumatisante pour l’épithélium pigmentaire quand les bords ne sont pas décollés, mais quelques publications ne retrouvent pas le même taux de succès quand la MA est utilisée en couverture du trou avec des déplacements secondaires postopératoires à la disparition du tamponnement ou à l’arrêt du positionnement. Une autre possibilité est d’utiliser la MA en multicouche avec une première insertion sous les bords du trou et une seconde posée par-dessus (figures 4 a, b et c).

 De nombreuses variations ont été décrites, y compris dans le sens de la pose de la membrane, face épithéliale ou chorionique vers le trou. L’apparition des membranes lyophilisées à la place de celles cryopréservées a rendu leur utilisation beaucoup plus facile, mais toujours en dehors de toute reconnaissance officielle puisque ce produit n’a pas de statut de dispositif médical implantable.

Greffe autologue de rétine

Comme initialement pour les greffes de MA, cette technique reposait sur l’idée d’une fermeture mécanique du TM. Grewal, son promoteur, utilise un patch de rétine périphérique de taille adaptée et prélevé en périphérie après une endodiathermie puis un endolaser, glissé le plus souvent sous perfluorocarbones liquides jusqu’au TM et stabilisé par un échange avec de l’huile de silicone. Sur les premiers cas publiés, une intégration du patch de rétine avec le tissu avoisinant était retrouvée. Dans une étude multicentrique, mais rétrospective, de 41 cas de TM non fermés initialement, le taux de fermeture était de 88% et la moitié des cas montrait une discrète amélioration visuelle ainsi qu’une amélioration en micropérimétrie. Cependant 2 cas s’étaient compliqués d’une prolifération vitréo-rétinienne et d’une membrane épirétinienne venant de la zone de prélèvement du patch de rétine. Dans une autre étude portant sur 4 cas, l’intégration et la réapparition de structures externes de la rétine individualisables en OCT étaient attribuées au fait d’avoir glissé la greffe de rétine sous les bords du trou, contrairement à la technique de Grewal qui laissait la greffe épirétinienne. Une autre étude utilisant des greffes de 5 diamètres papillaires retrouvait en angiographie une réapparition de la vascularisation rétinienne dans le patch à partir de 6 semaines.

Utilisation de plasma enrichi en plaquettes

Alain Gaudric a été le premier à montrer l’intérêt des concentrés plaquettaires pour améliorer le taux de fermeture des TM dans 2 études prospectives randomisées, faisant passer dans la dernière le taux de fermeture avec technique conventionnelle de 82 à 98% dans le groupe recevant le concentré plaquettaire. L’idée était d’amener au niveau du trou des plaquettes autologues amenant des cytokines et des facteurs de croissance qui stimulent la cicatrisation. Malheureusement, la fabrication du concentré, même autologue, a été interdite à cette époque où le prion était une préoccupation des autorités sanitaires. Il faut aussi signaler que malgré un taux de succès significativement meilleur dans le groupe avec le concentré, il n’y avait pas de différence de gain visuel entre les 2 groupes.
Cette idée a été reprise plus récemment à plusieurs reprises, confirmant l’idée initiale, mais elle se heurte toujours à la possibilité de fabrication de l’adjuvant, concentré plaquettaire ou plasma riche en plaquettes.

Autres techniques

On peut citer :
- le décollement du pôle postérieur par injections multiples sous-rétiniennes, puis réapplication de la rétine après massage pour jouer sur son élasticité afin de fermer le trou ;
- les rétinotomies radiaires par rapport au trou (dans le même but) ;
- la rétinotomie arciforme en temporal du trou ;
- l’utilisation de fragments de capsule cristallinienne antérieure dans le cas d’une chirurgie combinée ou postérieure chez le pseudophake, pour boucher le trou.

Propositions thérapeutiques

Il est difficile de se faire une idée sur la meilleure technique. Le manque d’études prospectives comparatives, la publication de cas anecdotiques et l’absence d’études multicentriques nécessaires pour minimiser le rôle du chirurgien laissent planer une incertitude sur tous les résultats publiés, d’abord sur le plan anatomique mais encore plus sur le plan fonctionnel.
Le taux de succès actuel du traitement chirurgical de première intention des TM idiopathiques rend les études prospectives sur les échecs difficiles à organiser. Il est compliqué de retrouver dans les publications une classification des cas, certaines parlant des stades de Gass, d’autres du diamètre à la base, d’autres encore utilisant la classification publiée en 2013.
Enfin, un autre biais vient du fait qu’il est difficile de savoir ce qui a provoqué la fermeture d’un trou réfractaire entre la réaction gliale engendrée par les manœuvres de pelage de la MLI, la qualité et la durée du positionnement postopératoire et le type de tamponnement postopératoire (figures 5 a, b et c).

On peut donc proposer, pour tous les trous de grande taille (supérieurs à 650 µ) :
- un pelage de la MLI aussi grand que possible, allant presque aux arcades temporales et suivi d’un positionnement strict de plusieurs jours. Cela doit être fait en première intention mais reste possible dans le cas d’une reprise rapide après un échec initial ;
- il faut essayer de garder le lambeau disséqué attaché à la rétine en un point, et on peut l’utiliser pour couvrir le TM en le repliant dedans après rotation. Si on le détache complètement, le fragment de MLI libre peut aussi être utilisé pour combler le trou, en sachant que sa manipulation est extrêmement difficile, facilitée parfois en fermant temporairement l’infusion pour diminuer les turbulences ;
- chez le myope fort, la fermeture des grands TM n’a pas qu’un but fonctionnel. Elle s’accompagne d’un rôle préventif de décollement de rétine et on pourra plutôt utiliser un morceau de MA soit glissé sous les bords soulevés du trou, soit couvrant le trou si les bords ne sont pas visibles ;
- enfin, une greffe de rétine prélevée à distance, à l’extérieur des arcades temporales ou en nasal, pourra également être envisagée chez le myope fort. Le positionnement épirétinien de cette greffe rend les choses plus simples, la partie difficile étant la manipulation et le déplacement du greffon, nécessitant l’utilisation de perfluorocarbones liquides.

Conclusion

Entre le comblement et les manipulations de membrane limitante interne, aucune technique n’a montré de supériorité certaine dans la fermeture des TM de grande taille (supérieurs à 650 µ). Il faut probablement se concentrer sur le pelage de la MLI de première intention chez les yeux emmétropes, en gardant les techniques de comblement, éventuellement en première intention, pour les yeux longs avec choroïdose avancée et staphylome. L’apprentissage de ces dernières est plus difficile, avec des risques pour l’épithélium pigmentaire, et on ne doit pas risquer de sacrifier un résultat fonctionnel pour améliorer seulement l’aspect anatomique sans avoir une grande habitude de cette chirurgie.

Pour en savoir plus
Baumann C, El-Faouri M, Ivanova T et al. MANCHESTER REVISIONAL MACULAR HOLE STUDY: Predictive value of optical coherence tomography parameters on outcomes of repeat vitrectomy, extension of internal limiting membrane peel, and gas tamponade for persistent macular holes. Retina. 2021;41(5):908-14.
Cao JL, Kaiser PK. Surgical management of recurrent and persistent macular holes: A practical approach. Ophthalmol Ther. 2021; 10(4):1137-53.
Szurman P, Wakili P, Stanzel BV et al. Persistent macular holes - what is the best strategy for revision? Graefes Arch Clin Exp Ophthalmol. 2021;259(7):1781-90.
Michalewska Z, Michalewski J, Dulczewska-Cichecka K et al. Temporal inverted internal limiting membrane flap technique versus classic inverted internal limiting membrane flap technique: A comparative study. Retina. 2015;35(9):1844-50.
Steel DH, Chen Y, Latimer J et al. Does internal limiting membrane peeling size matter? Journal of VitreoRetinal Diseases. 2017;1(1):27-33.
Abdul-Kadir MA, Lim LT. Update on surgical management of complex macular holes: a review. Int J Retin Vitr. 2021;7(1):75.

Auteurs

  • Yannick Le Mer

    Ophtalmologiste

    Fondation ophtalmologique A. de Rothschild, Paris

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