Plateformes diagnostiques pour la sécheresse oculaire

Le diagnostic de sécheresse oculaire repose classiquement sur l’interrogatoire et sur la réalisation de tests cliniques. L’industrie a développé des plateformes diagnostiques pour faciliter l’exploration de la surface oculaire. Dans le cadre d’un travail aidé, ces machines représentent un gain de temps important. Elles peuvent constituer un outil de dépistage systématique, par exemple avant une chirurgie réfractive, une chirurgie de la cataracte ou une adaptation en lentilles de contact. Nous verrons dans cet article les différents examens aujourd’hui disponibles.

Tests

Le test de Schirmer permet de mesurer la quantité de larmes produite via une bandelette placée 5 minutes dans les culs-de-sac. La longueur du test et la variabilité des résultats sont des écueils à sa pratique courante.

Le break-up time (BUT), ou temps de rupture du film lacrymal, est le gold standard pour évaluer la stabilité du film lacrymal. Il nécessite cependant d’instiller la fluorescéine, ce qui peut parfois fausser la mesure si la quantité administrée est trop importante. Il existe également une grande variabilité dans les résultats.

Le testing meibomien est un temps fondamental pour évaluer la fonction meibomienne. Trop souvent oublié, il ne permet cependant pas d’estimer l’atrophie meibomienne, ni l’épaisseur du film lipidique.

L’examen à la lampe à fente permet de diagnostiquer un clignement abortif, mais l’analyse n’est pas toujours aisée.

Le TFOS Dry Eye Workshop 2 (DEWS2), paru en 2017, a introduit des recommandations concernant l’utilisation de tests objectifs non invasifs permettant d’explorer la surface oculaire de façon plus simple et éventuellement dans le cadre d’un travail aidé.

Examens des plateformes diagnostiques

Meibographie en infrarouge (figure 1)
Principes
La visualisation des glandes de Meibomius est difficile à la lampe à fente à cause de la vascularisation conjonctivale. En prenant des clichés en lumière infrarouge, il est alors possible de les imager très facilement. L’image se fait le plus souvent en éclairage direct de face. Avec le Lipiview2, on peut également utiliser un dispositif émettant la lumière qui permet d’éverser la paupière et d’obtenir une image par transillumination des glandes de Meibomius. Les images en transillumination peuvent apporter une information ­différente, qui est alors combinée avec l’image en face.

Réalisation
Il faut éverser les paupières pour prendre des photogra­phies de la conjonctive tarsale. L’éversion de la paupière inférieure se fait avec un dispositif adapté permettant d’exposer correctement les glandes meibomiennes. Ce geste peut être difficile à réaliser et demande un apprentissage. 

Interprétation
L’examen permet de visualiser les glandes de Meibomius. Il peut montrer une diminution de la longueur (drop out) qui signe une atrophie glandulaire. Il peut aussi montrer une dilatation, une tortuosité ou une disparition des glandes. La meibographie ne permet pas de voir si une glande est obstruée, seul le testing meibomien peut apporter cette information aujourd’hui. Des logiciels de quantification semi-automatiques, voire totalement automatiques permettent de quantifier l’atrophie meibomienne et de donner un grade (meibo­score entre 0 et 3 ou 4) ou un pourcentage d’atrophie. La  fiabilité de ces logiciels est pour le moment faible.

Mesure de l’épaisseur du film lipidique par interférométrie
Principes
En utilisant une lumière blanche en éclairage spéculaire, on peut mesurer l’épaisseur du film lipidique lacrymal. En effet, le rayon lumineux pénétrant dans le film lacrymal est réfléchi par l’interface entre la couche lipidique et la couche aqueuse des larmes. Le rayon réfléchi va alors entrer en interférence avec les rayons de lumière arrivants. Il en résulte un rayon lumineux réfléchi dont la couleur dépendra de l’épaisseur du film lipidique. On observe ainsi des franges d’interférence colorées, comme à la surface d’une bulle de savon ou d’une flaque d’huile.

Réalisation
Une vidéo du film lacrymal avec éclairage en lumière blanche spéculaire est enregistrée. En la comparant avec des vidéos calibrées, on peut déterminer de façon semi-quantitative une plage d’épaisseur du film lipidique. C’est la méthode choisie par la majorité des plateformes. Le Lipiview2 apporte une donnée quantitative en mesurant automatiquement la moyenne des épaisseurs sur des fenêtres d’analyse précornéennes inférieures tout au long de la vidéo (figure 2).

À noter qu’aucune goutte ne doit être instillée dans les 2 heures précédant l’examen. Il faut si possible réaliser la mesure en premier dans la chaîne d’examens car le film lipidique est très sensible aux conditions environnementales.

Interprétation
L’épaisseur du film lipidique est mesurée en nanomètres. Des valeurs inférieures à 70-80 sont anormalement basses. 

BUT sans fluorescéine : le Non Invasive Break-Up Time (NIBUT)
Principes
Pour détecter la rupture du film lacrymal, on mesure de façon dynamique la régularité du dioptre cornéen. En projetant sur la cornée des anneaux de Placido, on enregistre leur évolution au cours du temps. La déformation des mires indique les zones de rupture du film lacrymal. Un logiciel analyse automatiquement la vidéo.

Réalisation
Une vidéo est enregistrée avec projection de mires de Placido. Il est demandé au patient de ne pas cligner des yeux.

Interprétation
La mesure du NIBUT est automatique, avec un résultat donné en secondes. Le logiciel affiche également la cartographie cornéenne du BUT (figure 3). De façon étonnante, les valeurs normales du NIBUT sont plus élevées que celles du BUT à la fluorescéine. Il est possible que BUT et NIBUT mesurent des couches différentes du film lacrymal.
Enfin, la partie de cornée inférieure n’est pas mesurée car les mires ne vont pas jusqu’au limbe.

Ménisque lacrymal
Principes
La mesure du lac lacrymal inférieur est un reflet direct du volume de larmes. D’après le DEWS2, ce test pourrait remplacer le test de Schirmer, étant moins invasif, plus reproductible et moins long.

Réalisation
L’opérateur prend une photo du lac lacrymal inférieur, en lumière spéculaire blanche. L’analyse est en général semi-automatique, l’opérateur devant placer sur la photo des repères indiquant les bords supérieur et inférieur du ménisque de larmes. L’analyse doit se faire dans la partie précornéenne.

Interprétation
Le résultat est donné en millimètres. Des chiffres inférieurs à 0,25 mm montrent une sécheresse quantitative (figure 4).

Détection des clignements abortifs
Principes
L’analyse de l’enregistrement vidéo permet de détecter les clignements incomplets. Un logiciel de détection automatique permet, avec le Lipiview2, de les identifier de façon automatique (figure 2).

Photographies du segment antérieur en lumière blanche/bleue

Plateformes diagnostiques
Plusieurs plateformes sont actuellement disponibles (figure 5). Deux sont spécifiquement dédiées à la sécheresse oculaire : le Lipiview2 et le Lacrydiag. Les autres machines sont des topographes cornéens avec des fonctions d’étude de la sécheresse oculaire : KR5m, CA800, Antares.

Le Lipiview2 est dédié au diagnostic des dysfonctionnements meibomiens, intégrant analyse totalement automatique du film lipidique par interférométrie, meibographie par illumination directe et transillumination, et détection automatique des clignements abortifs.
Le Lacrydiag permet meibographie quantitative, interférométrie semi-quantitative, NIBUT, méniscométrie semi-automatique.

Le KR5m, CA800, et Antares permettent, outre la topographie cornéenne, meibographie quantitative, NIBUT, méniscométrie semi-automatique.
Un compte-rendu synthétique permet d’identifier les paramètres pathologiques et de caractériser plus précisément le type et la sévérité de la sécheresse oculaire (figure 6).

Conclusion

Les plateformes de diagnostic de la sécheresse oculaire permettent de faciliter le diagnostic d’une sécheresse. Dans le cadre d’un travail aidé, ces machines représentent un gain de temps important. Elles peuvent constituer un outil de dépistage systématique, par exemple avant chirurgie réfractive, chirurgie de la cataracte ou adaptation en lentilles de contact.

Pour en savoir plus.
Craig JP, Nichols KK, Akpek EK et al. TFOS DEWS II Definition and Classification Report. Ocul Surf. 2017;15(3):276-83.

Auteurs

  • Serge Doan

    Ophtalmologiste

    Hôpital Bichat ; Fondation A. de Rothschild, Paris

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